Maintien à domicile

Sud-Ouest du 15 février 2022

Sud-Ouest du 15 février 2022 

Restés à demeure, ces nonagénaires résistent à l’Ehpad 

620 000 personnes âgées vivent en Ehpad en France, et pourtant, 90 % des plus de 80 ans préfèrent toujours vieillir chez eux. La riposte des grands seniors s’organise

Janine et Roger Caumont, mariés depuis soixante-dix ans et parfaitement autonomes, ne sont réellement pas séduits par les Ehpad. STÉPHANE LARTIGUE/« SUD OUEST » 

Ont-ils la couenne plus dure ? De bons gènes ? Une endurance à toute épreuve ? Voire un sacré ego qui les rend invincibles ? Roger, 92 ans, ouvre la porte de sa maison à Créon en Gironde. Pantalon en velours côtelé, chemise à carreaux, chaussettes à pois, une barbe blanche en collier, un véritable gentleman. « Pas de masque, commence-t-il, je n’y crois pas. Je crois à beaucoup de choses pourtant et je suis vacciné. Mais le masque, cette blague, on va nous faire croire qu’un virus qui a fait le tour du monde, sera ralenti par un bout de papier sur le nez. Laissez-moi rire. Ce virus n’en a que faire, il prend l’avion, le bateau, le train et passe à travers le masque. » 

Assez content de sa tirade, il rejoint Janine sa femme qui rit, assise dans son fauteuil. Janine qui a eu la mauvaise idée de se casser un jour deux bras, un autre une hanche, bref, sans l’attention quotidienne de son mari, « je serais déjà enfermée en Ehpad [Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, NDLR] » , admet-elle en pouffant. 

Roger Caumont est un sacré numéro. Érudit, fils de parents basques qui n’avaient pas été à l’école, il a profité de tous les enseignements de ses instituteurs. Devenu instituteur lui-même et s’ennuyant ferme, il décide à 40 ans de passer une agrégation d’espagnol, qu’il obtient et ainsi va sa vie. Le voilà secrétaire de mairie à Saint-Caprais-de-Blaye en Gironde, professeur d’espagnol à Libourne, puis maire de Créon entre 1977 et 1995. Deux enfants, six petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants plus tard, il n’a pas baissé la garde et n’ira pas finir ses jours en Ehpad, il s’est organisé pour ça. 

« Non merci ! lâche-t-il. En tant que maire de Créon, j’étais président du conseil d’administration de la maison de retraite. On y rentrait vers 65 ou 70 ans, encore valide. Les hommes s’occupaient du jardin, les femmes cuisinaient et les employés qui y travaillaient n’avaient aucune formation, en dehors des deux infirmières. Aujourd’hui, tout le monde est formé, mais les gens y entrent vers 85 ans, au bout du rouleau. Quand j’y vais, dans tous les couloirs j’entends gémir, appeler ou crier. Pire qu’un hôpital. L’Ehpad, non, jamais. » 

Comment s’organiser 

Tous les deux à l’heure du café, installés dans le rai de soleil de leur salon, ils sourient de la chance. « On s’est organisés, mais on avait les moyens de le faire, admet Roger. Notre maison est grande, aussi nous avons aménagé le rez-de-chaussée en appartement indépendant, où nous hébergeons gratuitement une dame. Elle ne paie aucun loyer, mais sa présence nous rassure. Elle nous rend des petits services et nous la rémunérons. Un échange de bons procédés avec notre ange gardien. » 

Ange gardien ou pas, ce mercredi matin, Roger Caumont a remis le masque auquel il ne croit pas, pour se rendre au marché d’un bon pas. Car non seulement, il prend en charge son épouse, mais aussi des repas, lui, qui selon ses aveux « ne savait même pas faire cuire un œuf ». « J’adore aller au marché, tout le monde vient me serrer la main, je suis un peu embêté, car j’ai oublié leurs noms, mais ça me flatte tous ces “ bonjour M’sieur le maire !” » 

Le voilà en cuisine, moules revenues dans un oignon de Roscoff avec une lichette de vin blanc. « J’ai décidé d’abandonner mes fonctions de maire à 65 ans, parce que j’estimais que j’avais perdu de la fraîcheur intellectuelle… », lâche ce coquet de Roger, toujours fringuant et grand dévoreur de bouquins.

Monique, bientôt 95 ans, vit seule chez elle, en centre-ville de Bordeaux. THIERRY DAVID/ « SUD OUEST » 

Mémé Monique au soleil 

Direction le centre de Bordeaux. Pull rose fuchsia, cheveux blancs coupés au carré à la Louise Brooks bon chic, qui oserait appeler cette élégante citadine « Mémé Monique », sinon ses deux arrière-petites-filles ? Monique Brèche est née en 1927. Dans quelques mois, elle aura 95 ans. « Et dans cinq ans, 100 ans ! », applaudissent les fillettes face à leur aïeule. Après toute une vie à Nancy, Monique a quitté la Lorraine à 85 ans pour rejoindre à Bordeaux sa fille, laquelle était elle-même venue rejoindre sa fille. « Elles m’ont dit, tu verras il y a du soleil, déclare en riant Monique. Eh bien, elles avaient raison, parce que tout quitter à 85 ans ne fut pas si facile. Mais s’il m’arrive quelque chose, mieux vaut ne pas être à 1 000 kilomètres ! » 

Elle non plus, n’a pas cédé aux sirènes de l’Ehpad. « Aujourd’hui, j’ai retourné mon matelas, fait une machine à laver, mis mes draps à sécher au soleil et j’ai fait les courses au Leclerc à côté. C’est ma vie, je ne m’ennuie jamais. » Mots croisés, puzzle, lectures, visites de sa fille, tout lui va. « Je vais au club senior à côté, deux fois par semaine. J’y déjeune, ce qui me permet de rencontrer des gens, de voir du monde. Tant que j’ai toute ma tête, de bonnes jambes et du soleil, ça suffit à mon bonheur. » Pour l’instant tout va bien. Si jamais, une chambre l’attend tout près, chez sa fille. Monique s’y rend, en bus tous les week-ends, comme une grande.