Covid-19
Sud-Ouest du 14 janvier 2021
Sud-Ouest du 14 janvier 2021
"Le variant est une épidémie dans l'épidémie"
Ils l’appellent le « variant UK ». Soit une mutation du coronavirus qui, en quelques mois a mis le système de santé anglais, à terre. Le professeur Denis Malvy, infectiologue au CHU de Bordeaux, membre du conseil scientifique, et le professeur Patrick Dehail, conseiller médical à l’Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine se tiennent là, au coude à coude. Même constat, même tension extrême, même préconisations. «Il ne faudrait pas que ce qu’on a vécu avec l’Italie au mois de mars dernier, cette façon un peu condescendante, presque distraite d’observer leur désastre, se reproduise avec l’Angleterre », commencent-ils.
En clair, ils croyaient que l’hécatombe italienne ne pouvait pas nous tomber dessus, puisque nous « savions », « puisque nous croyions que nos différences étaient nos forces, sans nous méfier de nos similitudes… », reprend le professeur Malvy. « Notre cerveau ne voulait pas voir : une auto injonction paradoxale. » Patrick Dehail qualifie de « biais cognitif » cette façon de se persuader que nous étions plus forts. « Or, dit-il aujourd’hui, ce qui est en train de se produire en Angleterre doit nous inquiéter collectivement, et cela pour éviter que l’on revive cette même situation qui nous a fait prendre beaucoup trop de retard. Ce déni de six semaines. Cette fois, nous n’avons pas le droit de perdre six semaines. Le variant a été signalé à la mi-septembre là-bas, six semaines plus tard leur système de santé était à genoux. Et aujourd’hui, le variant anglais est ici. »
9 cas confirmés dans la région
Après un premier cas isolé en France, à Tours, il y a eu ce match de rugby à Bayonne en décembre (voir par ailleurs). Dix cas positifs au PCR, les tests envoyés illico au Centre national de référence à Lyon pour séquençage, sur les dix, trois sont variants anglais. « On a travaillé avec l’équipe médicale de l’Aviron Bayonnais, dans une parfaite confiance, assure le professeur Malvy. Dès les premiers soupçons, ils nous ont appelés, moi au CHU et Patrick Dehail à l’ARS. Nos préconisations ont été tellement bien suivies que le virus a été contenu. Grâce à quoi ? Une stratégie très bien appliquée, tester, isoler, tracer. Sept jours d’isolement total et sept jours de surveillance rapprochée. C’est peut-être notre différence avec l’Angleterre: cette discipline. »
En Nouvelle-Aquitaine aujourd’hui, neuf personnes ont été confirmées comme étant infectées au variant anglais (deux en Gironde, un en Dordogne, un en Charente, trois au Pays basque, un en Vienne et un en Haute-Vienne) « Sûrement en deçà de la réalité, signale Patrick Dehail. On ne séquence pas encore tous les tests PCR. Idem pour les eaux usées dont l’analyse peut apporter des éléments d’observation sur une population donnée. Nous allons organiser une réunion la semaine prochaine en Nouvelle-Aquitaine, avec des labos spécialisés dans le domaine du traitement des eaux.»
Certaines études tendent à montrer que les adolescents et grands enfants seraient plus contagieux, face à ce nouveau coronavirus. « On n’est pas encore sûrs, prétend le professeur Malvy, quoi qu’il en soit, ce virus Covid UK plus contagieux présente une transmission transgénérationnelle. A priori, le gouvernement veut garder les écoles, lycées et facs ouvertes, il va falloir, mettre en place une surveillance accrue, avec des procédures de dépistages réguliers. On attend l’arrivée de nouveaux tests PCR, les salivaires. » « Le taux d’incidence monte, remarque le professeur Dehail. Y compris chez les enfants. Si on se met à chercher le variant, on va le trouver… Le 1 % annoncé par le ministère de la Santé, c’est déjà beaucoup, et on est peut-être au-delà. »
Quelle stratégie face au variant
Selon les deux scientifiques, si des mesures drastiques ne sont pas immédiatement appliquées, la situation pourrait s’emballer aussi en France. « On doit se comporter comme si le variant circulait déjà », martèle le professeur Dehail.La stratégie selon les deux professeurs est simple : mesures barrières et d’isolement strict sept jours plus sept jours sous surveillance lorsqu’on a été en contact avec une personne vivant en Angleterre, après avoir pratiqué un premier test PCR, suivi d’un second sept jours plus tard. Densifier les mesures de contrôles aux frontières.
« Avec ce variant, nous vivons une épidémie dans l’épidémie, conclut le professeur Malvy. Grâce à la vaccination, au strict respect des mesures barrières, d’ici quelques mois, nous serons sans doute, dans une situation apaisée. La suite est entre les mains des citoyens que nous sommes. »