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17 novembre 2019

Pour un plan d'urgence pour l'hôpital public

Le Journal du Dimanche du 10 novembre 2019 

TRIBUNE. Patrick Pelloux et les médecins urgentistes de France dénoncent "l'hôpital entreprise" 

L'urgentiste Patrick Pelloux et treize de ses confrères pointent les dégâts causés par "l’hôpital entreprise" et s’inquiètent de la gestion des prochaines épidémies hivernales.

patrick pelloux 10

Voici la tribune de l'Association des médecins urgentistes de France, intitulée "Lundi 4 novembre, 8h, 35 patients hospitalisés dans les couloirs des urgences" : 

Depuis trente années, des médecins n’ont cessé d’alerter sur la situation sanitaire en France. 

L’idée médico-économique des années 80 était : plus il y a de médecins plus il y a de consommateurs de soins. S’il y avait tant de dépense de santé, c’était parce qu’il y avait trop de demande à cause d’une trop grande offre. Comparant la santé avec la mode ou la grande distribution. Dans les années 90, les médecins libéraux dans la surconsommation des soins, ont même été encouragés à partir à la retraite par de rondelettes sommes et la possibilité de travailler comme salarié en plus de leur retraite. Dans le même temps le numérus clausus réglant le nombre d’étudiants pouvant faire médecine s’est vu réduit drastiquement jusqu’en 2006.

patrick pelloux tribune

Ensuite une autre idée a été d’incriminer le prétendu gaspillage des hôpitaux, pourvoyeur du trou de la sécurité sociale. La loi Bachelot créa "l’hôpital entreprise" qui a alors retiré tout pouvoir décisionnaire aux médecins hospitaliers pour confier la bourse à des gestionnaires. On va jusqu'à interdire les salles de gardes, le lieu de rencontre des médecins au sein des hôpitaux sous le fallacieux prétexte que des peintures contraires à la morale et désobligeantes pour les dames en couvrent les murs. Dans le même temps, la tarification à l’acte a réglé le système de santé devenu une industrie gérée par des gestionnaires. Plus on fait d’actes, plus on est rentable. Chaque malade est pourvoyeur d’argent pour l’hôpital s’il consomme plus d’examens, de médicaments, de soins. Les médecins et les soignants sont les ouvriers de ce système. Plus l’ouvrier voit de malades, plus il produit. Plus il fait de soins, plus il est rentable. Mais ses actes multiples et multipliés font augmenter la dépense de santé. La qualité n’entre pas dans les critères. Mais d’années en années, les financements des hôpitaux chutent, les budgets votés par les députés comme cette année sont déficitaires. Ainsi plus de cent mille lits ont été fermés en quinze ans, dont quatre mille huit cent en 2018. A l’hôpital, nous gérons une pénurie dans tous les services.

A présent, après avoir mis dos à dos les acteurs d’un même service, cadres, soignants, médecins, personnels administratifs, en les missionnant sur la codification et la vitesse plutôt que sur la qualité, on accuse les difficultés managériales de l’hôpital public. Mais l’hôpital public n’accueille pas les mêmes malades que l’hôpital privé. A l’hôpital public, nous soignons tout le monde, quelle que soit sa pathologie, même les week-ends ou les jours fériés ou à n’importe quelle heure. Notre mission de service public est de tout faire tout le temps, mais le gouvernement ne nous en donne pas les moyens.

patrick pelloux tribune2

Lundi 4 novembre à huit heures, 35 patients sont hospitalisés dans les couloirs d’un service d’urgences d’un hôpital parisien. Cela signifie que l’hôpital n’a pas pu absorber les 35 patients ayant nécessité une hospitalisation au cours du long week-end. Il a manqué trente-cinq lits d’hospitalisation soit un effectif de deux infirmiers, deux médecins et deux aides-soignants. Les patients sont entassés brancards contre brancards. L’équipe des urgences fait les soins en glissant le chariot parmi les malades. Les médecins font la visite, examinent, interrogent dans un brouhaha de souffrance. Mais le flux ne s’arrête jamais et des patients arrivent pour consulter aux urgences. Alors l’équipe commence la course infernale : s’occuper des malades présents depuis un à deux jours et de ceux qui viennent d’arriver. Brancards et sièges libérés par les patients montés dans des services de l’hôpital sont immédiatement nettoyés pour accueillir les arrivants à l’accueil. Les moins graves sont assis. Les brancardiers se dépêchent de libérer les box, de transférer les malades dans les services ou vers des salles d’examens. L’équipe médicale de renfort arrive en même temps que la relève des infirmières et des aides-soignantes. Tout le monde est désabusé. 

Cette augmentation d’effectif devrait donner un nouveau souffle. Mais le flux continue des malades ne faiblit pas. Entre les distributions de gobelets, les cris, les appels de l’accueil à l’interphone "besoins de brancards". Le soir, il faut presque deux heures pour faire comprendre à l'administrateur de garde que la situation est inhabituelle : 60 inscrits de plus qu'un jour normal. Nous avons besoin d'aval (un seul lit d’hospitalisation est annoncé sur tout l’hôpital), de matériel technique et humain (il manque une infirmière, à partir de minuit il ne reste que deux médecins) et d'un répit en amont : toutes les six minutes en moyenne, un patient se présente à pied, en ambulance ou avec les pompiers. Merci à la solidarité humaine des soignants, qui acceptent de rester sans attendre une demande administrative officielle. On guette chaque visage dans cette foule de patients pour voir la détresse vitale. Repérer si tout le monde va à peu près bien avant et après avoir été vu par le médecin. Quand deux patients décompensent, les extraire de la foule, les soigner. En même temps, demander de l’aide à l’administrateur de garde et à toutes les ressources possibles de l’hôpital. Au matin, trente hospitalisations sur des brancards et aucune mesure immédiate de la direction. On s'est encore débrouillé seul avec les médecins internistes pour avoir de l'aide. Mais les soignants n’ont pas eu de renfort. 

Les bureaucrates et les politiques ne comprennent-ils rien à notre travail ? Ou bien, puisque nous colmatons tout seuls depuis tant d’années les imperfections du système, ne se rendent-ils pas compte? A moins que cette froideur ne cache leur impuissance ? 

Nous attendons l’hiver et ses épidémies qui ne sont pas encore venus. Les services d’urgences sont juste les portes par lesquels on aperçoit les dégâts de l’hôpital public. Certains proposent cette idée folle de limiter l’entrée. Combien de morts cela fera ? 

On en vient à se poser la question suivante : est-ce que l’épuisement du système n’a pas été programmé ? Est-ce que tout n’a pas été fait pour que s’effondre l’hôpital public au profit de l’économie ? Le but n’est-il pas de détruire la sécurité sociale et le service public hospitalier ? 

Aujourd’hui, des postes de médecins, d’infirmier(e)s, d’aides-soignants, de manipulateurs radio, de cadres, de kinésithérapeutes, ne sont plus pourvus parce que les conditions de travail trop difficiles effrayent les plus altruistes avec des salaires très bas (la France est au vingt-sixième rang de l’OCDE pour les salaires des infirmières). Il manque des médicaments, des brancards, des lits mais aussi les humains pour occuper les services, pour s’occuper des patients. Le démantèlement est en cours d’achèvement.En épuisant les soignants, on les a fait fuir : spirale sociale infernale. Non seulement l’hôpital public est déficitaire, mais il deviendra inefficace puisque incapable de remplir sa mission de continuité des soins pour tous. 

Mesdames et messieurs nos concitoyens, laisserez-vous mourir l’hôpital public sans avoir tenté quelque chose ? 

Nous demandons :

  • L’ouverture de lits

  • L’augmentation de l’ONDAM hospitalier

  • L’arrêt de la facturation à l’acte : la T2A

  • L’augmentation des effectifs cibles

  • L’augmentation des salaires

C’est pour cela et pour vous que nous serons dans la rue le jeudi 14 novembre dans rue.

Pour l’Association des médecins urgentistes de France Dr Lydie Nguyen The (Kremlin Bicètre), Dr Patrick Pelloux (Paris), Dr Christophe Prudhomme (Avicennes), Dr Christian Brice (Saint Brieux), Dr Franck Legrand (Armentière), Dr Franck Beker (Rodez), Dr Alain Percodani(Ajaccio), Dr Emmanuelle Seris (Sarguemine), Dr Fréderic Pain (Parthenay), Dr Véronique Péquignot (Marseille), Dr Magalie Kraif 5Marseille), Dr Hugues Breton (Digne), Dr Eric Loupiac (Lons le Sonnier, dr Didier Storme (Vichy)

Franceinfo du 10 novembre 2019 

"Le démantèlement est en cours d'achèvement": des urgentistes français dénoncent "l'hôpital entreprise" 

Dans une tribune parue dans le "Journal du dimanche", treize médecins urgentistes dénoncent les politiques publiques prises pour l'hôpital ces dernières décennies.

le démantèlement est en coursUne soignante manifeste à Paris contre le manque de moyens à l'hôpital, le 29 octobre 2019. (JEROME LEBLOIS / HANS LUCAS) 

"Mesdames et messieurs nos concitoyens, laisserez-vous mourir l'hôpital public sans avoir tenté quelque chose ?" Dans une tribune publiée dimanche 10 novembre dans le Journal du dimanche, treize médecins urgentistes interpellent citoyens et pouvoirs publics quatre jours avant la manifestation nationale pour un "plan d'urgence pour l'hôpital public". 

"Est-ce que l'épuisement du système n'a pas été programmé ? Est-ce que tout n'a pas été fait pour que s'effondre l'hôpital public au profit de l'économie ? Le but n'est-il pas de détruire la sécurité sociale et le service public hospitalier ?", interrogent ces médecins tous membres de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf). 

Manque de moyens et salaires trop bas 

Retraçant les dérives des années 1980 et 1990 dans la "surconsommation des soins", puis l'arrivée dans les années 2000 de "l'hôpital entreprise", avec l'emblématique système de la tarification à l'acte, les auteurs de ce texte résument, selon eux, la situation actuelle : "Notre mission de service public est de tout faire tout le temps, mais le gouvernement ne nous en donne pas les moyens". 

Les postes de soignants "ne sont plus pourvus parce que les conditions de travail trop difficiles effrayent les plus altruistes avec des salaires très bas (en 2017, la France était au 26e rang de l'OCDE pour les salaires des infirmières)".  

« Il manque des médicaments, des brancards, des lits mais aussi les humains pour occuper les services, pour s'occuper des patients. Des médecins urgentistes dans une tribune au "JDD" 

Estimant que "le démantèlement est en cours d'achèvement", ils assurent qu'"en épuisant les soignants, on les a fait fuir : spirale sociale infernale""Non seulement l'hôpital public est déficitaire, mais il deviendra inefficace puisque incapable de remplir sa mission de continuité des soins pour tous". 

Ils rappellent en conclusion les revendications de la mobilisation du 14 novembre : "l'ouverture de lits", l'augmentation du budget de l'hôpital, des effectifs et des salaires, ainsi que "l'arrêt de la facturation à l'acte".

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