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GIRONDE VIGILANTE
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12 août 2019

Le feu du siècle de 1949

Sud-Ouest du 11 août 2019

2019 08 11 SO 1949 dans le Sud-Ouest l'été du grand feu

LONG FORMAT ARCHIVESIl y a 70 ans, la forêt du Sud-Ouest brûle depuis le mois d’avril. En Gironde, les 19 et 20 août, c’est la tragédie : parti de Saucats, aux portes de Bordeaux, un incendie monstre fait 82 morts. En récit, photos et vidéos, retour sur cet "incendie du siècle’" 

C’est un été sans pluie à la chaleur accablante. Depuis le mois d’avril d’"une année si incroyablement sèche qu’elle fait oublier les neuf ans incroyablement secs qui l’ont précédée", comme l’écrira "Sud Ouest" le 14 août, les incendies se succèdent. Dès la mi-juillet, la cadence s’accélère : de multiples feux sont signalés en Charente-Maritime dans les Landes,  le Lot-et-Garonne et la Gironde. Vite contrôlés et éteints. Mais au fil des jours, ce sont des milliers d’hectares de pins qui brûlent. Dans les campagnes, on s’habitue à vivre au son du tocsin.

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Incendie de forêt à Facture, en Gironde, le 14 avril 1949 

Le mois d’août arrive, toujours aussi chaud et aussi aride. La France entière se passionne pour l’affaire de l’empoisonneuse en série de Loudun, Marie Besnard. Accusée d’avoir empoisonné douze personnes, elle sera acquittée à Bordeaux en 1961. Mais dans le Sud-Ouest, le premier sujet de conversation et de préoccupation ce sont ces satanés incendies de forêt, qui s’allument aux quatre coins de la région transformée en gigantesque brasier, et qui semblent ne jamais devoir s’éteindre. 

Le 9 août, venu de Gironde, le feu progresse sur un front de 2 km et gagne le Lot-et-Garonne. Se répandant avec une grande rapidité, les flammes font rage à Saumegean, Pindères, Allons, Fargues et Durance. Une ferme est incendiée, le bétail meurt dans les flammes malgré tous les efforts déployés pour le sauver. 

Le 12 août, l’incendie s’aggrave dans la forêt des Landes. Castets et Herm sont menacés, deux autres foyers d’incendie se sont déclarés à Tarnos et Saint-Geours. Mont-de-Marsan, Tartas et Dax ont envoyé leurs pompiers en renfort. En Gironde, la forêt brûle aussi sur le bassin d’Arcachon. Le feu sera finalement maîtrisé après cinq heures de lutte acharnée sous une chaleur torride : 200 hectares de pins ont été anéantis à Gujan-Mestras par le sinistre.

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Dans les Landes, des arrosoirs pour lutter contre le feu 

Le même jour, toujours  en Gironde, parti d’une lande à proximité de la route Bordeaux-Arès, un incendie d’une violence exceptionnelle va ravager en début de soirée la région d’Andernos et de Lanton, coupant la route Audenge-Andernos et la voie ferrée. Plusieurs milliers d’hectares sont dévastés. Le préfet de la Gironde a réquisitionné la troupe pour aider les pompiers. Au petit matin, "le fléau semblait être circonscrit", écrit "Sud Ouest". 

Dans le journal du 13 août, dans un long éditorial titré "Au feu !" Jacques Lemoîne , le patron de Sud Ouest, s’exclame que jamais au grand jamais, même pendant la guerre, "on n’a vu une telle quantité de feux", en s’interrogeant : la faute à qui et à quoi ? 

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Les civils ne ménagent pas leur peine. Ils paieront un lourd tribut. 

Le 14 août, après quarante-huit heures dramatiques à Andernos, la coupe est pleine. La région brûle de plus belle, de la Saintonge au pays dacquois. Dans les Landes, pour combattre les incendies de la forêt de Castets, le préfet a réquisitionné tous les hommes de dix communes et fait appel aux troupes de Tarbes. Jour après jour, on ne cherche plus à savoir s’il y a eu un incendie, mais combien. 

"COMMENT ET POURQUOI BRÛLENT NOS FORÊTS ?" 

Alors "Sud Ouest dimanche" pose la question brûlante : "Comment et pourquoi brûlent nos forêts", dans un grand article en page intérieure. On commence par dénoncer les incendiaires, pour la plupart des imprudents, dont on publie dans un encadré les noms, lorsqu’on les connaît. Deux bûcherons ont été identifiés à Caslenau,  trois autres à Pissos, le propriétaire imprudent d’un gazogène à Audenge… Un campeur encore anonyme à la traction noire est recherché à Gujan-Mestras. Avec un rappel du Code pénal sur les risques encourus pour les incendiaires volontaires de forêt : l’article 434 prévoit les travaux forcés. Pour les incendiaires involontaires, l’article 435 est beaucoup moins sévère : de 1.000 à 6.000 francs d’amende et huit jours de prison au maximum. 

Quant à la liste des questions et des indignations, elle est longue comme le bras. Est-il admissible que les jeunes et valides continuent à jouer à la belote au café du coin, alors que le tocsin sonne et que "la gendarmerie vient les admonester" ? Que deux cents Sénégalais luttent pendant deux heures et deux nuits contre le feu sans un gramme de ravitaillement ? Que le Fonds national forestier, riche de 14 milliards de francs n’ait pas encore muni de grenades et de bombes-mousse les équipements de la Direction contre l’incendie (DCI) ? Pourquoi n’y a-t-il toujours pas de panneaux jalonnant les routes landaises et girondines pour inciter les automobilistes, promeneurs, cyclistes, piétons, chasseurs, bûcherons et campeurs à la prudence ? S’est on jamais préoccupé d’établir des liaisons avec la météo, pour prévenir des changements d’orientation du vent ? 

Les incendies dans "Sud Ouest":

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Enfin, question cruciale posée par le journal : "Y a-t-il un plan de feu ? Y a-t-il un état-major du feu ? Un "généralissime du feu" ?" Sous-entendu : non, il n’y a rien de tout cela, la France n’a pas d’action nationale concertée pour répondre à des incendies d’une telle ampleur. Autant d’interrogations utiles qui contribueront à la réflexion collective, au lendemain de la catastrophe, pour faire évoluer la prévention des incendies de forêt dans le Sud-Ouest et dans l’Hexagone, et aider à la prise de conscience d’une nécessité : mieux alerter sur le risque incendie afin de protéger la forêt des imprudences humaines. La diversification de la sylviculture pour couper la propagation du feu fera partie des leçons tirées du drame. 

En Gironde, reconnaît toutefois le journal, la lutte contre les incendies est plus poussée qu’ailleurs : " Conservation forestière, génie rural, sapeurs pompiers citadins et forestiers, pouvoirs municipaux, police judiciaire… tous coopèrent avec une grande efficacité sous la direction de la préfecture et de l’inspecteur général Faugères." D’ailleurs, depuis le mois d’avril, jusqu’à celui d’Andernos, ce sont pas moins de soixante-douze sinistres importants qui ont été combattus. Les coupables le plus souvent des imprudents, identifiés et arrêtés, ont désormais affaire avec la justice. Le constat n’empêchera pas l’incendie le plus ravageur et le plus meurtrier de tout l’été d’éclater quelques jours plus tard dans le département. 

"NOUVELLE ET TERRIBLE OFFENSIVE DU FEU" 

Le 15 août, "Sud Ouest" publie un photo-reportage signé de Guy Carlsen. Intitulé "Journées tragiques dans la forêt girondine", il montre les dégâts des incendies qui ont ravagé la forêt girondine,  à Andernos, Arès et Saint-Savin-de-Blaye. En bordure du bassin, sur la route d’Arès à Andernos, La Vacherie n’est plus qu’une ruine fumante. Au Mauret, il ne reste presque rien des maisons de bois sinistrées. A l’aérium d’Arès, maintenant hors de danger, après avoir évacué les enfants, on s’occupe de sauver le matériel médical. Dans la région du Blayais, ravagée par un très important sinistre, deux habitants regardent les décombres de ce qui était il y a quelques heures "une coquette ferme dans la verdure"… 

Pendant ce temps, le feu continue. Dans les Landes, il redouble de violence. Les hommes luttent pied à pied. Le 15 au soir, sur la route nationale 10, un vaste nuage noir se dirige lentement vers la mer, et dès Captieux, un immense rideau de feu part de la ligne limitrophe de la Gironde aux Landes. Une épaisse fumée âcre et irrespirable s’élève. Au lieu-dit Le Poteau, deux bâtiments sont brûlés. Dans le canton de Roquefort,  quatorze maisons sont détruites. Bilan de la journée : dans les Landes, 8.500 hectares ont été carbonisés dans les Landes, 5.000 hectares en Gironde, dont des milliers dans le Blayais, et 3.500 en Charente-Maritime. 

En établissant le bilan de 20.000 hectares ravagés par les flammes aux confins des Landes et de la Gironde, le journal amorce un début de polémique : "Matériel et pompiers de Paris arrivent en renfort… Mais n’est-ce pas trop tard ?"  Il ose également le premier épisode d’une rubrique estivale légère, “Été 49 sur la Côte d’Azur”, avec la photo d’une jolie estivante au maillot de bain assorti au pelage de ses chiens, qui n’est autre que la comtesse Anatole de Brémond d’Ars. Une épisode sans lendemain, comme la polémique sur les renforts qui attendra la fin des incendies pour reprendre.

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Ce qu’il reste d’une maison incendiée à Andernos 

"LE FEU DU SIÈCLE" 

En effet, le feu ne concède pas l’once d’une accalmie. Alors que les dernières lueurs des incendies de Captieux et des Landes, viennent à peine de s’éteindre, le même jour, 300 hectares de forêts brûlent aux portes de Bordeaux, de Mérignac-Beutre au rond-point de l’Alouette, à Pessac,  dans la grande banlieue de la capitale girondine, donnant lieu à des scènes d’exode. Et le feu reprend avec violence dans les Landes. 

Mais le pire est encore à venir. Le 19 août, à 14 h, un nouvel incendie éclate à Saucats, près d’une scierie, au lieu-dit du Murat, non loin de Bordeaux. Le vent souffle du nord. Les flammes s’étendent rapidement. Comment a-t-il démarré ? Difficile à dire. Dans les jours suivants, on évoquera des causes accidentelles : c’est probablement une cigarette mal éteinte dans une cabane de résinier qui aurait causé de ce qu’on appelle encore aujourd’hui "le feu du siècle". De toutes façons, une étincelle suffit à déclencher la catastrophe, tant la forêt est sèche. 

Au départ, c’est un incendie comme un autre. La bataille s’engage. On ne le sait pas encore, mais elle se poursuivra plusieurs jours après son point culminant, le 20. Le vent souffle du nord, attisant le feu qui se joue des contre-feux des forestiers. Sur un front de huit kilomètres, l’incendie monstre avance de treize kilomètres, franchit la route Bordeaux-Bayonne et gagne Le Barp, Salles, Marcheprime, Pierroton, Cestas, Gazinet…  C’est la panique. Les habitants s’enfuient, emportant de maigres biens sur des charrettes. Ceux qui restent arrosent d’eau les murs des maisons pour tenter de les sauver, se souvient aujourd’hui Eliane Pilles, 83 ans. Cette Gradignanaise, alors âgée de 13 ans, était en vacances chez son oncle, à Marcheprime. Le vent tourne brusquement à l’ouest. A Bordeaux, où sa famille l’a évacuée, c’est l’angoisse. "Des cendres flottaient dans l’air. A 16 heures, il faisait nuit. Les voitures roulent phares allumés, on allumait les réverbères…" 

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Le 19 août 1949, les Landes et la Gironde doivent faire face à un incendie monstre qui, malgré la lutte incessante des militaires et des civils, ravage 50.000 hectares de forêt en quelques jours. Le bilan humain et matériel est catastrophique.

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Le terrible incendie de Saucats, près de Bordeaux, le 19 août 1949. 

Tournoyant sous l’effet du vent, l’ogre rouge prend à revers les hommes qui s’activent. C’est une déflagration sur dix kilomètres, de Croix d’Hins à Saucats. 
C’est la tragédie : 50.000 hectares en flammes, 152 fermes, maisons et scieries détruites, des centaines de sans abris, et surtout, 
quatre-vingt-deux morts, dans des conditions atroces,  asphyxiés par les gaz dégagés par la combustion de la résine ou brûlés. Parmi eux, vingt-cinq jeunes soldats du 33e régiment d’artillerie de Châtellerault, arrivés en renfort, qui ont péri carbonisés.
 

Venus de Cestas, Canéjan, Gradignan, Le Barp, Léognan, Marcheprime, Pessac, Saucats, Talence, Villenave-d’Ornon…, ces héros n’ont pas d’uniformes. Simples habitants et élus, leurs armes sont rudimentaires : pelles et pioches, arrosoirs, sulfateuses… 

Canéjan (400  habitants), les vingt-neuf victimes de l’incendie sont plus nombreuses que les morts des deux dernières guerres réunies. Erigé en 1951, un monument aux morts leur rend hommage. La mairie de Cestas est transformée en chapelle ardente. Parmi les victimes civiles, le maire de Saucats, René Giraudeau, "mort en héros à la tête des sauveteurs " relate "Sud Ouest dimanche", le 21. 

François Latapy et Pierre Julien-Laferrière, jeunes journalistes, décrivent le désastre et témoignent de leur angoisse. Ils sont rentrés vers Bordeaux "sur un tapis de braises incandescentes." Le standard téléphonique du journal est submergé d’appels angoissés de gens à la recherche d’êtres chers, et d’appels à l’aide. 

Dans le secteur de Cazalis aussi, entre Captieux et Saint-Symphorien, plus de 6.000 hectares de grands pins sont détruits, et le fléau se dirige vers les Landes. Le 23, le feu menace La Brède et son château : “Coûte que coûte il faut épargner cette localité où tous les pompiers sont là, avec de puissants moyens”.

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Une foule monstre assiste aux funérailles des victimes du feu. 

Londres envoie par avion trente pompiers, Paris dépêche l’aviation et de puissants renforts avant de décréter le 24 août jour de deuil national. Le président de la République, Vincent Auriol, et le président du Conseil, Henri Queuille, président un comité national de secours aux sinistrés du Sud-Ouest. Le 25, à Cestas, un dernier hommage solennel est rendu aux victimes en présence d’Henri Queuille et de Paul Ramadier, ministre de la défense nationale.

Le feu n’avait toutefois pas dit son dernier mot. Le 5 septembre, la forêt brûlait encore Un nouveau foyer ravageait plus de 4.000 hectares dans le secteur Houeilles, Allons, près de Casteljaloux et Sauméjean en Lot-et-Garonne. Il sera rapidement circonscrit. 

Le 24 septembre, le général de Gaulle se rendra en Gironde pour rendre hommage aux sauveteurs qui ont péri dans l’incendie de forêt qui a ravagé les Landes et la Gironde du 19 au 25 août, et qui reste à ce jour le plus meurtrier en France.

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