CHU de Bordeaux : Agressions verbales et physiques envers les soignants
Sud-Ouest du 30 septembre 2022
CHU de Bordeaux : Les soignants dénoncent les violences
800 signalements pour violences physiques ou verbales sont à déplorer au CHU pour l’année 2021. Un constat en progression. Explications
Les récits des soignants font froid dans le dos. La brutalité des propos, la cruauté des menaces, la barbarie des mots. La scène se déroule dans un service d’urgences, au CHU de Pellegrin, de nos jours : « Un homme s’est mis à nous insulter brutalement, sans raison apparente, alors que nous lui apportions un petit-déjeuner : ‘‘Va te faire enc…’’, ‘‘grosse pute’’, ‘‘va t’occuper du cul de ta mère’’… Il a passé plusieurs appels avec son téléphone portable en demandant à son interlocuteur de venir aux urgences ‘‘pour les tuer’’, a filmé les soignants présents avec son téléphone pour les envoyer sur les réseaux sociaux. » Intervention des agents de sécurité. Fin de l’histoire.
« Je vais tout casser »
Pas tout à fait la fin d’ailleurs, car les soignants qui ont fait face à cet homme ont été sacrément déstabilisés. « On soigne moins bien lorsqu’on est agressé, estime le docteur Olivier Richer, pédiatre à l’hôpital des enfants. « Lorsqu’on pratique un geste technique, et que l’on est ainsi ébranlé, le cœur s’accélère et la main peut trembler. Ce n’est bon pour personne. » Lucie, infirmière puéricultrice, ajoute : « Lors d’une prise de sang par exemple, avant de planter l’aiguille, le père qui dit à son enfant l’air de rien : ‘‘Si elle te fait mal, je lui fais mal’’. »
Les témoignages de violences physiques ou verbales dont sont victimes les soignants se multiplient : 800 en 2021, soit une centaine de plus que l’année précédente. Le Covid et la fracture sociale ont majoré le phénomène.
Des menaces, beaucoup, régulièrement. Dans chaque service d’urgences existe un système d’alarme anti-agression, un bouton-poussoir, planqué sous un bureau. Il permet à tous les collègues disponibles de courir vers l’accueil pour soutenir un soignant menacé. « Il est actionné très très régulièrement », précise Cécile Ramage, cadre de santé aux urgences adultes de Pellegrin. Il permet aux agents de sécurité également d’intervenir vite. Chez nous, on a tous été marqués lorsqu’une infirmière a été bousculée et battue, alors qu’elle prenait en charge un patient conduit par les forces de l’ordre. Face aux insultes et aux menaces, si on a un peu d’expérience, on peut prendre du recul, mais la violence physique, non. »
La multiplication des menaces (« Je vais tout casser, on reviendra à plusieurs », « Je te reconnais, on va te faire ta fête »), Lucie, en pédiatrie depuis quatorze ans, l’explique ainsi : « C’est une manifestation de l’inquiétude, les menaces physiques sont toujours en lien avec le fait que les parents ou grands-parents n’arrivent pas à se rassurer, il nous faut prendre le temps de leur expliquer. Je me souviens d’un père inquiet qui m’a hurlé à deux centimètres du visage pour m’intimider : ‘‘Je vais tout défoncer ici !’’ Le fait est qu’on a toujours peur d’un passage à ’acte. Ces gens qui balaient la pièce avec leur téléphone portable, pour tout balancer sur les réseaux… Il y a plus que jamais une intolérance à la frustration, c’est la société Google : tout, tout de suite. Très déstabilisant pour nous. »
Restrictions Covid
Le CHU a décidé de mener une campagne pour lutter contre ces violences récurrentes. En interne, des formations sont organisées pour le personnel sur la gestion des incivilités. Les salles d’attente sont désormais aménagées pour anticiper ces violences, avec affichages explicatifs : « Pourquoi si j’arrive en premier, c’est un autre qui est pris en charge », « pourquoi on ne s’occupe pas tout de suite de mon enfant »… L’accompagnement post-agression est assuré par les psychologues du travail et le service juridique du CHU. Aurore Gonzalez, psychologue au service de la santé au travail du CHU, est ainsi la copilote de ce projet « violences institutionnelles ».
« Clairement, ce phénomène a progressé avec la pandémie de Covid, assure-t-elle. Tout comme il est en lien avec la situation sociale des usagers. 10 % des signalements l’année dernière sont relatifs aux mesures barrières imposées par le Covid : pas d’accompagnement, la vérification du passe sanitaire à l’entrée, des conflits d’usage pour les ascenseurs… On est au cœur de la société, de ses difficultés et, plus il y a de souffrance sociale, plus ça craque à l’hôpital. On a remarqué que les difficultés d’accès, de stationnement, le fait qu’il soit payant étaient des facteurs d’irritabilité, de colère et d’incompréhension. »
Selon l’Observatoire des violences en milieu de santé, en France, 49 % des atteintes aux soignants concernent des violences physiques, 31 % des insultes et injures. 47 % des « victimes » sont des infirmiers, suivies à 45 % par des aides-soignants et 8 % des médecins. Le docteur Richer rappelle que « la violence n’accélère jamais la prise en charge, et qu’un soignant est un agent de la fonction publique. Le frapper est un facteur aggravant aux yeux de la justice. »