Incendies en Gironde
Sud-Ouest du 17 septembre 2022
Sud-Ouest du 17 septembre 2022
Landiras : y a-t-il des arbres à sauver ?
Les peuplements de pins maritimes traversés par l’incendie géant du mois de juillet en Sud-Gironde doivent-ils tous être abattus ? Sylvain Delzon, écophysiologiste, cherche à évaluer leurs chances de survie
Les taches vertes des fougères qui ont jailli des cendres au fil des dernières semaines ne font guère illusion. Dès que le regard quitte le sol, il s’égare entre les fûts calcinés des pins maritimes suppliciés par l’incendie dit « Landiras 1 », qui a englouti des milliers d’hectares au mois de juillet, dans le sud de la Gironde. Sur cette parcelle en bord de route, située entre Landiras et Guillos, l’aspect des houppiers n’est pas plus réjouissant. Les arbres ont une trentaine d’années. Ils sont intégralement rissolés. « On voit qu’ils ont été parcourus par un feu de couronne. Il n’y a rien à sauver, ils sont morts. Ils devront être abattus », évalue Sylvain Delzon, alors que le ronflement lointain des engins atteste l’importance des travaux forestiers dans le secteur.
L’homme qui parcourt ainsi les bois funèbres est spécialisé en écophysiologie forestière, directeur de recherche à l’unité Biogeco, Université de Bordeaux/ Inrae (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) à Pessac, en Gironde. Il cherche à apprécier les chances de survie des arbres en fonction des dommages que le feu a produits.
À quelques dizaines de mètres près, les contrastes visuels sont saisissants. Sur nombre de parcelles, la partie supérieure de la couronne des pins est restée à l’écart des flammes et a conservé sa couleur verte d’origine. Parfois les troncs sont noircis sur leur partie la plus basse, sur un ou deux mètres tout au plus. « Ils ont seulement été léchés par les flammes. C’est le signe que l’endroit a été traversé par un simple feu de surface. L’état des parcelles et les dommages sont très hétérogènes », juge-t-il.
Échantillons prélevés
Dans un rayon de quelques kilomètres, on rencontre tous les cas de figure. Et c’est bien ce qui intéresse l’homme de l’art. En abandonnant à leur triste sort les arbres les plus jeunes qui ont flambé comme des allumettes, il projette de prélever le mois prochain des échantillons (des carottes de bois depuis l’écorce jusqu’au cœur) sur une soixantaine de pins, du plus carbonisé au plus préservé. Ces échantillons partiront au CEA (Commissariat à l’énergie atomique), à Saclay, en région parisienne, pour y passer l’épreuve d’une micro-tomographie. Cette analyse permettra de déterminer avec précision la dégradation des supports de vie des arbres.
Planté devant un tas de grumes fraîchement apparu au bord d’une piste forestière, Sylvain Delzon précise le propos. Derrière le liège protecteur se trouvent deux fines couches cruciales pour la vie de l’arbre : le phloème, qui distribue la sève et ses nutriments, et le cambium, à partir duquel le bois se forme. « Si le phloème est détruit, la mortalité de l’arbre est certaine », tranche-t-il. De façon plus générale, seule la partie externe du tronc, le bois d’aubier, nourrit l’arbre. « Sur le pin maritime, il y a une douzaine de cernes fonctionnelles à partir de l’écorce. Si le passage du feu a abîmé les cinq dernières, la survie sera compliquée », explique le scientifique.
Guide des bonnes pratiques
Sur certains des sujets déjà sciés dans le périmètre du feu de Landiras, nul besoin d’expertise en laboratoire. Même si le barrage de l’écorce a sauvegardé la qualité du bois, il est sec comme s’il n’avait jamais été parcouru par le moindre filet de sève. Sous l’effet de la chaleur, l’air a chassé l’eau dans l’aubier. La mort est certaine. Mais dans les tas entreposés, l’état d’autres grumes prête à discussion. La présence de sève n’est sans doute pas le seul critère à prendre en compte pour approcher le risque de mortalité. Pour autant, la possible destruction des racines par l’incendie laisse Sylvain Delzon dubitatif. « Le sol est un très bon isolant thermique », lâche-t-il.
Au final, l’unité Biogeco entend fournir aux sylviculteurs une sorte de guide des bonnes pratiques en fonction du dépérissement apparent des arbres. Plutôt que de couper indistinctement les peuplements, autant laisser sur pied ceux dont les chances de survie sont solides et qui, à échéance de quelques années, présenteront une grande valeur économique. « Nous espérons publier rapidement les résultats pour que le public concerné puisse en prendre connaissance », expose Sylvain Delzon.
Biogeco s’intéresse aussi au devenir de la forêt usagère de La Teste-de-Buch qui, au contraire des environs de Landiras, n’était pas exploitée avant sa destruction par le feu.
«Il n’y a pas d’enjeu économique comme ici. Autant laisser repartir ce qui a une chance de repartir. Pour le reste, il faudra ensemencer en augmentant la diversité génétique », pense-t-il.
Sud-Ouest du 17 septembre 2022
Les sylviculteurs du Sud-Ouest veulent connaître la vérité
Sud-Ouest du 17 septembre 2022
Incendie à Saumos et Sainte-Hélène : «Nous allons rester mais je ne vais plus dormir tranquille »
Après l’incendie dans la commune de Saumos, dont le village a été encerclé par les flammes, les habitants témoignent de leur traumatisme. Le retour à la vie normale ne se fait pas sans crainte
Cinq jours après le passage de l’incendie, le petit village de Saumos, 540 habitants, entouré par une dense forêt de plus de 5 500 hectares, semble encore pétrifié par la violence du feu. Des riverains témoignent avoir vu les flammes grimper à la cime des arbres et venir encercler les maisons. Il aura fallu tout l’engagement et le courage des pompiers pour sauver les habitations. Dans de nombreuses rues et petits lotissements, lorsque l’on observe l’état des lisières et parcelles à quelques mètres seulement des logements, on se demande comment il n’y a pas eu plus de dégâts sur l’habitat.
Depuis le début du sinistre, dans les deux communes touchées par l’incendie, Saumos et Sainte-Hélène, trois maisons ont été ravagées, avec cinq hangars et granges. Un tel bilan tient du miracle. Après le passage du feu qui a brûlé 3 400 hectares de forêt et de végétation, les riverains rencontrés sur place se disent encore sous le choc.
« Je n’arrive plus à réfléchir »
« Aujourd’hui, je n’arrive plus à réfléchir. Machinalement, je reste présente dans mon quartier pour aider. Avec les voisins de notre avenue des Landes, on se serre les coudes. Mon petit garçon a eu très peur au moment d’évacuer. Pour autant, je n’ai pas l’intention de partir. Toute notre vie est ici. On va remonter la pente. La nature va se régénérer. La vie va reprendre », se persuade Fouzia, une mère de famille, encore tremblante.
Même son de cloche pour Éva, qui vit au bord de cette même avenue, sur l’axe de la départementale 5, qui a été traversée par le feu. « Mon compagnon était sur place, j’étais encore au travail. Il a eu quelques minutes pour prendre ses affaires et partir. Avec ce qui est arrivé, je ne dors pas bien. Je ressens beaucoup de fatigue. On va rester vivre là. Nous sommes installés à Saumos que depuis le mois de mars. Comme les odeurs de l’incendie sont encore trop fortes, il n’est pas question de revenir tout de suite. Nous sommes logés chez ma mère. On a dit à notre petite fille de deux ans que ce sont les vacances chez Mamie. »
Incessantes reprises
Dans un lotissement accessible par l’allée des Galips, juste derrière le village, Lionel ne cache pas son inquiétude. « J’ai passé la nuit de mercredi à jeudi chez moi, je n’étais pas serein. Devant ma maison, il y a une partie de la forêt qui a été brûlée mais pas l’autre. La parcelle n’est pas entretenue par la propriétaire. Elle ne répond jamais à nos appels, elle habite en Haute-Savoie. Nous craignons des reprises. Nous en avons déjà eu deux ! »
Le père de famille témoigne aussi qu’il n’envisage pas l’avenir dans un autre endroit. « Cela ne fait que quatre ans que je possède cette maison. Nous étions au Porge. Là-bas, il n’était pas possible financièrement de pouvoir acheter un logement avec la même surface de terrain que celle que j’ai pu acquérir ici. Alors, de toute façon, je ne vois pas où je pourrais aller. » Lionel dit avoir eu cette conversation avec son épouse. « Notre garçon de 11 ans a été traumatisé, il ne veut pas rester. On lui a expliqué que ce n’était pas possible. Nous tentons de le rassurer. » Dans son jardin, face à la lisière toujours menaçante, Lionel a positionné son arrosoir. Ses voisins ont fait la même chose. Ils sont prêts à intervenir.
À proximité de la craste Le Barrouil, non loin du centre-bourg, une reprise provoque le retour des pompiers au pied du logement de Céline. Alors qu’elle observe l’intervention des engins avec angoisse, la jeune femme explique que « même si le feu est arrivé tout près de ma maison, je resterai. Ici, c’est chez moi, c’est ma forêt. Je suis venue pour avoir ce cadre de vie ».
Plan de prévention
Venue de l’Oise, Gisèle a posé ses valises à Saumos au mois de décembre dernier. « On avait décidé de prendre la retraite en Gironde. Nous avons choisi cette propriété parce que mon fils n’habite pas loin. Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment envie de rester. Je me pose beaucoup de questions. J’ai eu très peur. Avec cette forêt devant, les flammes sont venues jusque dans notre jardin. Je vais peut-être être obligée de continuer à vivre dans cette maison, un départ coûterait trop cher et cela voudrait dire repartir à zéro. Ce qui est certain, c’est que je ne vais plus dormir tranquille. »
Devant le poste de commandement des pompiers, Didier Chautard, le maire de Saumos, dit comprendre l’angoisse de sa population et évoque la nécessité de mener une réflexion pour améliorer la sécurité du village. « Ce que l’on vient de vivre doit nous faire réfléchir sur l’aménagement du territoire, sans pour autant remettre en cause le fait de vivre ici. »
Comme piste de travail, l’élu aborde la question de l’adoption d’un plan de prévention des risques d’incendie de forêt (PPRIF) « Le PPRIF permet d’inscrire des zones rouges dans la carte communale, avec des restrictions urbanistiques très fortes. » En Gironde, il n’y a que 13 communes à avoir un tel plan (Grayan-et-l’Hôpital, Naujac-sur-Mer, Saint-Laurent-Médoc, Saint-Médard-en-Jalles, Lacanau, Carcans, Hourtin, Lanton, Biganos, Andernos-les-Bains, Martignassur-Jalle, Saint-Jean-d’Illac et Vensac).
Fabrice Thibier, le sous-préfet du Médoc, estime quant à lui que « toutes les communes doivent se doter, comme elles en ont l’obligation, de moyens DFCI [défense des forêts contre les incendies, NDLR] performants pour faire de l’entretien et du nettoyage dans la forêt. Ensuite, il y aura une grande réflexion à mener sur comment on habite dans ce milieu naturel ». Le représentant de l’État ne manque pas non plus de rappeler l’existence du PPRIF, « un plan qu’il faudrait élargir à plus de communes, même si ce n’est pas facile pour les élus d’avoir toujours plus de contraintes sur leur carte communale ».
Enfin, parmi tous les témoignages recueillis à Saumos, de nombreux habitants font remonter le constat qu’il y a nécessité de davantage entretenir cette forêt médocaine. Luis Gonzales vit à Saumos depuis 1989 : « Je n’ai pas du tout l’intention de partir. En revanche, il y a un réel effort à faire sur le nettoyage des parcelles. Si elles étaient propres, on arriverait à contenir plus facilement le feu au sol. Cela éviterait qu’il ne monte comme c’est arrivé ! »