3 000 postes de gendarmes verts
La Gazette des communes du 31 août 2022
Police de l’environnement : les moyens de contrôle sont-ils suffisants ?
L'année 2022 est l’une des pires en termes d’incendies de forêts. Un exemple criant qui rappelle que la protection de l’environnement bute souvent sur le manque d’effectifs. Alors que d’un côté, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé « 3 000 postes de gendarmes verts », de l’autre, les services publics de l’environnement souffrent de sous-effectif chronique. Quand ils ne sont pas carrément rognés, comme ceux, justement, des gardes forestiers !
Rien qu’en Gironde, les deux grands brasiers de Landiras et de La Teste-de-Buch ont englouti plus de 20 000 hectares cet été. Ces feux sont à 95 % d’origine humaine, parfois même volontaires. Ainsi, 26 présumés pyromanes ont été interpellés cet été. Pour y remédier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé « 3 000 postes de gendarmes verts ». Repeindre les bleus en vert en quelque sorte ! A noter par ailleurs que ce ne sont pas des créations de postes, mais des formations, à effectif constant.
Baisse continue des effectifs
Car d’un autre côté, les effectifs des gardes forestiers, dont la protection de la forêt est l’une des principales missions, continuent de fondre. « L’annonce de Darmanin est détestable. Où est le sens de l’efficacité ? Le service public de la forêt, c’est l’Office national des forêts [ONF]. Or, sur les 20 dernières années, trois emplois sur dix ont été supprimés à l’office. Nous sommes passés de plus de 11 000 à moins de 8 000 personnels aujourd’hui. Le nombre des gardes forestiers a été divisé par deux. La surface gérée par un seul garde a donc doublé », expose Philipe Canal, secrétaire général du Snupfen (Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel).
Aujourd’hui, le risque incendie explose avec des feux dans des endroits inhabituels : Bretagne, Normandie, Jura, etc. La forêt publique représente 10 % du territoire national et demande une présence d’ampleur sur le terrain. Or, le contrat ONF/Etat 2021/2025 prévoit encore la suppression de 500 postes. La Fédération nationale des communes forestières (Fncofor) et l’Association des maires ruraux de France (AMRF) ont demandé à l’Etat dès le 20 juillet dans un communiqué commun de revenir sur cette suppression et de renforcer les services publics forestiers. Cette demande a été reprise dans un rapport du Sénat du 3 août dernier. « Nous n’avons reçu aucune réponse à ce jour. Des gendarmes verts, ça peut être utile, mais ça ne remplacera pas les gardes forestiers. L’ONF, c’est une culture et un savoir-faire irremplaçable. La police de l’environnement devient primordiale, mais les services publics diminuent. On s’interroge pour l’avenir », reconnaît Christian Delavet, président des communes forestières des Bouches-du-Rhône.
Par ailleurs, un projet de proposition de loi est en cours de réflexion parmi les parlementaires de la NUPES pour revenir à un effectif de 12 000 personnes à l’ONF.
Des mesures prises au détriment de la protection incendie
En outre depuis quatre ans, l’établissement ne recrute plus de fonctionnaires, uniquement des contractuels. « Ces nouveaux collègues ne sont pas assermentés et ne peuvent donc pas constater les infractions. Le nombre de garde forestiers assermentés s’est ainsi réduit à environ 3 000 aujourd’hui », poursuit Philipe Canal. Or face à l’augmentation des incivilités, aller au contact du public s’apprend. Le garde forestier est formé, dispose d’une arme de service, est soumis à une expertise psychologique, à des exercices de tir, etc.
Par ailleurs, les missions des personnels de l’ONF se sont recentrées sur des activités commerciales, traditionnellement effectuées par les acheteurs de bois (recrutement des bûcherons, tri des bois, livraison, etc.). « Ces activités se font au détriment de celles consacrées à la protection des forêts, au risque incendie et à la pédagogie. Le temps passé au bureau a augmenté au détriment de la présence sur le terrain », souligne le secrétaire général.
Pourtant, face aux records de sécheresse et de températures, la prévention est indispensable pour éviter les feux de grande ampleur, très difficiles à éteindre. « Les premières luttes sur les départs de feux sont capitales. Nos statistiques en Paca montrent que les patrouilles préventives de l’ONF (deux personnes, un pick-up et une citerne) permettent d’éteindre rapidement six feux sur dix », appuie Philipe Canal.
Sous-effectif chronique des services de l’environnement
« Nous avons besoin de services publics forts pour faire face au changement climatique, qui arrive plus vite que prévu », estime Philippe Canal. Et ce sujet ne concerne pas uniquement la forêt, mais vise tous les secteurs de l’environnement : police de l’eau, pollution, déchets, chasse, etc. Or, les effectifs des personnels de l’environnement (ministère de l’Ecologie et établissements publics) stagnent depuis 2020. « On nous a fait le « cadeau » de geler les effectifs jusqu’en 2022, mais nous n’avons aucune certitude pour 2023. Entre-temps, nos missions ont été démultipliées. Darmanin propose de former 3 000 gendarmes verts. En comparaison, cela représente plus de postes que l’ensemble de ceux de l’Office français de la biodiversité [OFB], qui avec 2 800 personnes souffre de sous-effectif chronique. L’OFB travaille d’ailleurs déjà souvent avec les gendarmes, qui ont bien d’autres missions », commente Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale SNE-FSU. Les effectifs des agences de l’eau ont également fondu de 21 % entre 2010 et 2021. Le ministère charge de l’Ecologie est aussi celui qui a perdu le plus de postes entre 2012 et 2021 : – 23 %.
Les gardes champêtres à la rescousse
Dans le domaine de l’environnement, de nombreuses missions régaliennes ont été transférées aux collectivités (Natura 2000, Gemapi, etc.). Pour y répondre, elles sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers un métier très ancien : garde champêtre.
« Plusieurs grandes collectivités ont recruté des gardes champêtres pour s’occuper des atteintes à l’environnement et au cadre de vie : dépôts sauvages de déchets, chasse, police de l’eau, mais aussi urbanisme », affirme Christian Comin, président de la Fédération nationale des gardes champêtres. Fonctionnaire territorial, le garde champêtre est assermenté et compétent sur de nombreuses thématiques. « Pour pallier le manque de service public, nous réfléchissons à mutualiser un poste de garde champêtre entre trois ou quatre communes, à l’échelle d’un massif ou d’une vallée par exemple », soutient Christian Delavet, également maire de Saint-Antonin-de-Bayon (Bouches-du-Rhône). Mais en retournant au local, ces missions auront-elles autant d’indépendance pour faire face aux lobbies ?