Incendies en Gironde
Sud-Ouest du 31 août 2022
De retour dans les massifs, les forestiers en opération sauvetage
Hier, les abatteuses ont enfin commencé leurs coupes rases dans la zone du premier incendie de Landiras. Une course contre la montre, mais aussi un plongeon dans l’inconnu pour les forestiers
Ça ne prend que quelques secondes. David Guyet guide la tête de son abatteuse au pied d’un pin calciné, le coupe, le couche, puis le débite en quelques tronçons de 2 à 2,40 mètres. Reste un tas de grumes à l’écorce noire, et la machine poursuit déjà sa route.
« C’est comme la PlayStation avec un peu plus de boutons », sourit l’abatteur forestier, deux mains collées aux joysticks. Depuis 6 heures ce mardi matin, l’employé de l’entreprise Mourlan, de Lavazan dans le Sud-Gironde, fait tomber un à un les arbres de cette parcelle à Balizac.
Ce sont les premiers hectares coupés sur les 28 000 brûlés dans les incendies monstres de cet été, entre le Sud-Gironde et le bassin d’Arcachon. « Tout le monde va nous regarder », croit savoir Mickaël Devaux, directeur général de la société Mourlan. Les premiers exploitants à pénétrer dans le massif depuis que la préfecture en a rouvert l’accès dans la zone du premier incendie, jeudi 25 août. Les premiers à avoir obtenu le feu vert de maires parfois frileux, inquiets des dangers que représente toujours le feu enterré. Les premiers, surtout, à découvrir l’état de leurs arbres et à savoir si le bois pourra être valorisé. « On est dans l’inconnu. On y va à l’aveugle, on fait des expériences », dit Mickaël Devaux.
« Déséquilibre de la filière »
L’état des premières grumes n’est pas trop mauvais. « On le voit à la couleur. » Certaines ont encore un peu de sève, qui marque le cœur comme du sirop d’érable sur un pancake, assurant un peu de souplesse au matériau. Mais pour d’autres, coupées juste à côté, la sève à complètement disparu. « Le risque est qu’il éclate en scierie, et alors il ne sera plus bon », craint Mickaël Devaux. D’ici à vendredi, les retours des premières découpes devraient donner le ton pour les chantiers à venir. Et pour les négociations avec propriétaires forestiers et clients.
Ces premières journées – ou plutôt matinées, puisque le massif est interdit d’accès après 14 heures – serviront d’aiguillon aux entreprises forestières. L’écorce va-t-elle être exploitable ou finir au rebut à perte ? Le bois devra-t-il être déclassé en papeterie ? « Ce que l’on craint le plus, continue le directeur, c’est un déséquilibre dans la filière », si l’offre de déclassé est trop importante et celle de bois de sciage plus rare.
Plus 10 % pour les coûts
Sur ce terrain en bordure de la route d’Origne, les pins que couche David ont entre 20 et 30 ans. « Ils avaient encore de l’avenir », constate Alain Labouyrie, agent forestier chez Mourlan. Les forestiers attendent généralement au moins 35 ans pour réaliser des coupes rases.
Une chose est déjà certaine, le travail dans les zones brûlées coûtera plus cher en entretien du matériel. « On estime à plus 10 % de coûts ». À cause de la poussière, les machines s’encrassent. Et les chaînes des tronçonneuses fatiguent plus vite en tapant dans le sable projeté à la base des troncs d’arbres par le travail des pompiers. Mais il faut aller vite pour sauver ce qui peut l’être avant l’arrivée de la pluie ou des nuisibles. « Si tout le monde s’y met, on peut avoir terminé le secteur Landiras 1 à Noël. »
« On vit de la forêt, nous, ça fait de la peine de voir ça, regrette l’agent forestier. Ça va être un grand désert. » Ici, les fougères dominent désormais le paysage.