Incendies Gironde
Sud-Ouest du 24 Juillet 2022
Au milieu d’une forêt calcinée, la faune sauvage décimée
Des milliers d’animaux en tous genres ont péri dans le piège girondin. La nature ayant horreur du vide, les experts du Parc naturel régional des Landes de Gascogne esquissent malgré tout le scénario d’un lent retour à la vie
Naturaliste au Parc naturel régional des Landes de Gascogne (PNR), Jérôme Fouert-Pouret est notamment en charge des programmes de conservation et de connaissances. En cette terre brûlée, il redoute désormais un carnage parmi une faune plus riche que ne laissaient imaginer ces vastes étendues de pins.
La biodiversité n’est peut-être pourtant pas réduite à néant. Face aux flammes, les animaux qui en ont la capacité physique ont-ils tendance à s’enfuir par instinct, ou bien se retrouvent-ils plutôt en état de sidération ?
Certains sont en effet capables de fuir assez vite, comme les lièvres ou les chevreuils, sauf s’ils se sentent acculés, encerclés. Les pompiers ont déjà retrouvé quelques cadavres ou bêtes mal en point. Tout dépend aussi de la rapidité du feu et de la configuration des lieux, des endroits ressemblant parfois à des refuges et qui se révèlent être des pièges. Il sera très difficile en tout cas d’établir un semblant de bilan.
On imagine que les oiseaux auront davantage de facilité à s’échapper à tire-d’aile…
Si tant est qu’ils ont l’âge pour le faire. Nous sommes mi-juillet, il y a probablement eu beaucoup de casse parmi les nichées des espèces typiques des landes, mais aussi chez les rapaces qui sont encore souvent au nid. Je m’inquiète d’autant plus pour le Circaète Jean-le-Blanc qu’il ne fait qu’un seul jeune par an. Le Busard cendré est une autre espèce rare qui niche au sol ou dans les landes. On peut espérer que les adultes reproducteurs aient pu s’échapper, mais il reste aussi toutes les espèces communes, le merle ou la grive, des oiseaux plutôt grimpeurs parmi les houppiers, et d’autres encore comme la mésange ou les fauvettes qui ont des difficultés à sprinter soudainement sur un ou deux kilomètres.
Quels sont les animaux qui, en revanche, n’avaient quasiment aucune chance d’échapper au brasier ?
Ceux qui n’ont ni la vitesse ni le comportement pour fuir devant ce genre de dangers. Les reptiles et les amphibiens – une population déjà assez faible avant la catastrophe – ont dû terriblement souffrir. Dans la pinède vit aussi la sous-espèce locale de la vipère aspic, nommé Zinniker, des couleuvres, des lézards verts ou vivipares qui se cachent sous les feuilles et qui y ont sans doute été grillés. Il faudra également vérifier l’état du milieu aquatique avec l’impact d’éventuels dépôts de cendres. Je pense aux grenouilles arboricoles, à la Rainette ibérique inscrite sur la liste rouge des espèces vulnérables. N’oublions pas enfin les invertébrés, ceux qui ne peuvent pas voler, ou pas assez loin, papillons et autres coléoptères dont les pontes ont également brûlé.
Contrairement à ce que la monoculture du pin maritime laisse deviner, cette forêt des Landes de Gascogne cachait donc une faune assez variée…
Oui, la richesse de ce massif forestier trop mal compris est réelle. Regarder une parcelle de pins ne donne certes pas l’impression d’une incroyable opulence, mais beaucoup d’oiseaux peuplent les résineux. Et, quoi qu’on en dise, cette forêt n’est pas faite que de pins. Il y a des sous-bois et des lisières de feuillus, des îlots autour des villages, une lande omniprésente, des lagunes et des zones humides… Un ensemble qui est passé par les flammes, même s’il convient de rappeler que ce n’est pas tout le massif qui a brûlé.
La chaîne alimentaire risque-t-elle de s’en retrouver bouleversée ?
Il faudra du temps avant de pouvoir se faire, sur le terrain, une idée précise des dégâts. Peutêtre que le feu, lorsqu’il est passé rapidement, aura laissé quelques refuges, des zones pas ou peu brûlées où l’on peut espérer une certaine résilience. À condition que le système racinaire ne soit pas trop abîmé en profondeur. Un peu de vert çà et là, et ce sera le retour, d’abord microscopique, à la vie. Bactéries et autres champignons que l’on ne voit pas à l’œil nu, mais qui sont à la base de tout. L’inquiétude, en revanche, vient du fait que nous étions au cœur d’un été très sec, avec une flore et une faune déjà stressées, et qui le resteront dans les alentours épargnées par le feu. La régénération pourrait donc être moins rapide et complète qu’avant les effets du réchauffement climatique. Le cas du massif de La Teste sera aussi un peu plus compliqué qu’autour de Landiras. Il s’agissait là d’un écosystème plusieurs fois centenaire, avec de vieilles forêts où vivent quelques espèces animales spécialisées.
Le retour à un semblant de biodiversité sera donc particulièrement long ?
La nature ayant horreur du vide, elle finira par recoloniser cette terre brûlée, sans parler des aménagements de l’homme qui accompagneront le mouvement. Tout va compter pour redémarrer, qu’il s’agisse des quartiers habités, des petits bois oubliés depuis des générations ou de l’entretien des fossés qui restent une vraie source de vie. Sauf qu’il ne faudra pas être pressé. En écologie, on dit que le milieu doit redevenir fonctionnel. D’abord avec des espèces pionnières comme les graminées, la fougère aigle et quelques arbustes. Mais tant que l’ensemble des micro-habitats n’auront pas resurgi, le faune ne reviendra pas au complet. Si l’on prend le cas d’une pinède vieille de 40 ou 50 ans, il faudra sans doute autant de temps pour retrouver le même décor. Pareil dans la lande humide, comme le marais du Gât Mort, un lieu assez unique. Dans le secteur, l’expérience de quelques incendies passés nous montre pour autant que cela peut parfois aérer le milieu, l’ouvrir à quelques espèces florales ou animales opportunistes, y compris malheureusement invasives.
Sait-on si l’on verra certains animaux ressurgir plus vite que d’autres ?
Pour la plupart des bêtes, la flore est soit une source de nourriture, soit un support, soit une cache. Aujourd’hui ce n’est plus rien, mais cela n’empêchera pas certains animaux d’y passer. Nous avons même déjà observé des chevreuils revenir sur la zone incendiée, mais avec l’air un peu hagard. Il reste une lueur d’espoir grâce à la lutte acharnée qu’ont mené les pompiers pour protéger aussi la vie sauvage. De l’inquiétude donc, mais pour l’heure aucune certitude ni pessimisme aveugle.