Incendies Gironde
Sud-Ouest du 19 juillet 2022
Sud-Ouest du 19 juillet 2022
Comment mettre le feu au régime sec ?
Depuis samedi, les entreprises forestières de tout le massif affluent dans le Sud-Gironde pour créer des pare-feu géants en urgence
Que faire quand les lances incendie se brisent contre la montagne de feu ? « Imaginer des stratégies alternatives », partage le lieutenantcolonel Charles Lafourcade, pour le Service départemental d’incendie et de secours de Gironde (Sdis 33).
Plusieurs positions ont été perdues au sud et à l’ouest depuis samedi. Le feu raffute tout sur son passage. « Le problème majeur, ce sont les sautes de feu. Les écorces d’arbre enflammées volent dans le ciel et viennent toucher les parcelles voisines. » Quand « la pieuvre », funeste surnom donné à l’incendie de Landiras, n’a plus rien à engloutir, elle bondit de plusieurs dizaines de mètres en avant. Avec la force d’une catapulte.
Couper, débarder, empiler
« Depuis samedi, nous créons des pare-feu géants, parfois de 800 m de large, pour priver l’incendie de combustible », confirme le Sdis. Ces travaux sont pilotés par l’association de Défense des forêts contre l’incendie (DFCI) de Gironde. Les plus gros chantiers ont débuté à l’est, côté Landiras alors que le feu file au sud et à l’ouest depuis près d’une semaine. « Le vent va tourner, il suit les aiguilles d’une montre. Le flanc est va devenir le front (l’avant) dans la nuit de lundi à mardi », prévoit le Sdis en craignant l’élargissement de l’incendie. Il faut absolument mettre l’ogre au régime sec et le priver de combustible. La recette : couper les pins, débarder, dessoucher, empiler et évacuer. Un travail que les forestiers connaissent par cœur mais qu’il faut désormais effectuer en un temps record. « Les entreprises forestières font preuve d’une grande solidarité. Elles arrivent de tout le massif landais », rend hommage le directeur de la DFCI 33, Pierre Macé. En parallèle, la préfecture a décidé de réquisitionner les engins et les hommes pouvant effectuer ces travaux titanesques.
Pas faire brûler les tracteurs
Hier matin, Bruno a reçu un appel de son patron de l’entreprise Berdot à Marcheprime : « J’étais sur un chantier classique dans le Médoc. On a mis le tracteur sur la remorque pour rejoindre le Sud-Gironde en urgence. » Direction la RD 11 entre Balizac et Landiras. Bruno enchaîne les allers-retours dans le sable depuis plusieurs heures au volant de son tracteur surpuissant. La débardeuse est suivie à la trace par un camion de lutte contre les incendies de la commune de Belin-Béliet. Il faut arroser la machine pour faire tomber la poussière. « Avec cette canicule, on ne peut pas se permettre d’autres départs de feu », soupire cet employé communal venu du Val de l’Eyre. Il fait 40 degrés. Le forestier continue de dessiner le large pare-feu le long de la départementale. Couper des arbres pour sauver la forêt. Un paradoxe qui ne fait pas trembler cet ouvrier : « Je travaille dans les bois depuis l’âge de 14 ans. Je suis choqué par ce que je vois. Si tout part en fumée, je fais quoi ? La forêt, c’est mon travail. C’est toute ma vie. » Qui financera tous ces chantiers ? « Il faudra évidemment répondre à cette question. Mais la priorité, c’est d’éteindre cet incendie », tranche le directeur de la DFCI Pierre Macé.
Sud-Ouest du 19 juillet 2022
Ils détruisent la forêt pour mieux arrêter « l’incendie du siècle »
À La Teste, une opération de déforestation partielle est en cours le long de la piste 214, d’où l’incendie était parti le 12 juillet, pour enlever au feu son principal combustible : le bois de broussailles
C’est une bataille à l’intérieur de la bataille. Pendant que les pompiers essaient de maîtriser l’incendie qui ravage la forêt usagère de La Teste-deBuch depuis le 12 juillet, les bûcherons sont pris dans une autre course contre la montre. Le long de la piste 214 sur laquelle l’incendie s’était déclaré il y a sept jours, ils mettent le sol à nu. Les pins sont coupés, les bruyères arrachées, le sable retourné. Il faut faire vite, le feu est tout autour. D’énormes bulldozers raclent le sous-bois, repoussent la végétation, défoncent les souches. Hier matin, une noria de semi-remorques a déposé sur cette petite piste tous les engins nécessaires à une déforestation en urgence. Objectif : enlever au feu son principal combustible. Créer un glacis de sable pour arrêter l’incendie. Un nettoyage brutal, grossier et urgent. De monumentales découpeuses saisissent les pins à leur base, coupent les troncs, les basculent à l’horizontale et les débitent en quelques secondes. Les pins centenaires cèdent comme de vulgaires brindilles. Peu à peu, la piste 214 se transforme en pare-feu. Une tranchée plus large dans la pinède, débroussaillée de part et d’autre. Ce qu’elle aurait dû être, en fait, si la forêt usagère avait été régulièrement entretenue. Des bûcherons opèrent aussi à la tronçonneuse, dans une chaleur infernale. Ils font tomber des pins, les débitent aussitôt, sans prendre le temps de souffler. Les grumes sont rangées sur le bas-côté tant bien que mal, un camion de débardage doit venir les chercher. « On les stocke dans des lieux précis, pour qu’ils ne puissent pas alimenter le feu », précise le commandant Sébastien Castel, du Sdis de la Gironde.
« Je n’ai jamais vu ça »
Pendant qu’il remplit son camion à une borne d’incendie, un pompier du Vaucluse dégoulinant de sueur observe ces autres soldats du feu. « C’est l’incendie du siècle, je n’ai jamais vu ça, jamais. Pourtant, d’où je viens, on connaît le feu. Mais ici, c’est infernal. Cette tourbe où le feu se met, il disparaît, il ressort un peu plus loin. Dès qu’on a éteint quelque part le feu ressort un peu plus loin, j’ai jamais vu ça… » Les pompiers sont sous pression, car il faut faire vite. C’est l’incendie et ses sautes d’humeur qui donne le tempo. Les bûcherons suivent le rythme. Personne ne veut faiblir. « Certains collègues ont du mal à céder leur place à ceux qui viennent les relever, même s’ils sont au feu depuis 10 ou 12 heures », révèle le commandant Castel. « Ce matin, je suis allé dormir à six heures, j’ai repris à 10 h 30 », raconte un pompier venu de Charente, le visage marqué par la fatigue. Ce lundi, le directeur départemental du Sdis 33, Marc Vermeulen, a expliqué comment ce feu tourne rond, comme certains orages : il revient sur ces pas, repasse où il est déjà passé. « À la fin, quand ce sera éteint, on découvrira peut-être une forme circulaire », pense-t-il. D’où l’importance de la déforestation, seule méthode pour empêcher que le feu se nourrisse à nouveau de ce qu’il a déjà en partie dévoré.
Sud-Ouest du 19 Juillet 2022
Sur le front du brasier à Landiras : une journée en enfer
Vent et canicule. Deux mots suffisent à résumer la journée dantesque vécue par les pompiers hier dans le Sud-Gironde où le feu a brûlé 1 600 hectares supplémentaires de forêt dans la seule aprèsmidi d’hier. Les chiffres atteignent des seuils vertigineux. 120 kilomètres carrés brûlés à Landiras. 1 250 pompiers sur le site qui se relaient par cycles de douze heures. Dans l’après-midi, face à la violence du feu, le Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de la Gironde a pris une mesure historique : un appel général à tous les pompiers du département, réquisitionnant tous les volontaires ou professionnels en congés ou repos. De quoi apporter une centaine d’hommes supplémentaires et surtout d’armer tous les camions disponibles, explique Marc Vermeulen, le directeur du Sdis.
« Comme Don Quichotte »
Sur le « chantier », en proie aux vents tourbillonnants, les pompiers travaillent souvent sous d’épais nuages de fumée rendant parfois la visibilité quasi nulle. L’intensité du feu est telle que les sauts de feu vont parfois dans le sens inverse du vent qui attise pourtant le brasier dans lequel les flammes partaient cet aprèsmidi directement en cimes des arbres. « Je n’ai jamais vu quelque chose d’une telle ampleur. J’ai dû perdre cinq kilos dans la journée. On se bat comme Don Quichotte. C’est beaucoup de frustration », témoigne l’adjudant Philippe Moizeau, les traits tirés, de retour du feu. Dans la matinée, son équipage s’est fait une frayeur. « Le camion a calé, la pompe à eau aussi. Le feu arrivait sur nous, on a redémarré juste à temps », explique Léa. À la mi-journée, un autre camion a appelé au secours alors qu’il commençait à être pris dans le feu. Un second l’a sauvé in extremis alors qu’il commençait à brûler. En appui des pompiers, à l’arrière, des équipes de la DFCI (Défense des forêts contre les incendies, une association émanant des sylviculteurs), renforcées par des volontaires tentent d’éteindre les reprises. « On éteint ce qui se rallume. La chaleur, on ne la sent même plus tellement on a la haine du feu », brave Philippe, un chasseur de Roquefort (47) venu prêter main-forte entre Landiras et Guillos depuis la semaine dernière.
« On se fait dépasser »
« Vous l’éteignez à un endroit, il repart derrière vous. C’est extrêmement violent, ça part vite et fort. On se fait dépasser de partout », complète Romain, un pompier de Blaye (33). « La tête de feu, c’est affreux. On le voit arriver, mais il va plus vite que nous. On se sent impuissants. Notre fierté c’est d’avoir réussi à protéger les maisons », glisse encore Léa. À Landiras seule une maison a brûlé, à Guillos, vendredi dernier. « Un bilan miraculeux », pointe la préfecture. Mais au fur à mesure que le feu s’étend, les zones à protéger, intégrant l’immense périmètre de la zone de feu long, ne cessent de se multiplier. Désormais, la préfecture prévient qu’il ne sera sans doute pas possible de protéger toutes les maisons. « Certaines interventions risqueraient de mettre la vie des pompiers en danger », explique le sous-préfet de Langon, Vincent Ferrier.
Un rond qui grossit
Alors qu’initialement, le feu avait une forme de virgule, les vents tournant dans le sens d’une montre d’heure en heure lui font petit à petit prendre l’allure d’un rond qui grossit sans cesse. Dans la nuit, les pompiers redoutent que, poussé par le vent, le flanc est se transforme en tête de feu. Soit la perspective d’un front de 12 à 13 kilomètres avançant à la vitesse de 2 à 3 km/h. « J’ai survolé la zone, j’ai vu un monstre tentaculaire qui se déploie au gré du vent. Ça m’a soulevé le cœur », témoigne le président du Département, Jean-Luc Gleyze, évoquant « des villages entourés de forêt calcinée ». Dans la journée, sept communes, dont Landiras et Villandraut, ont dû être évacuées de manière préventive. Soit plus de 8 000 personnes supplémentaires portant le total d’évacués à plus de 14 000. « On s’y attendait. Le plus dur est qu’on ne sait pas quand on pourra revenir. Ni dans quel état on retrouvera nos maisons », murmure une habitante de Landiras, emportant quelques effets dans son fourgon.
Toute la journée, sous un soleil de plomb, forestiers, pompiers et Sécurité civile ont travaillé sur des coupes afin de freiner le monstre. « L’objectif de cette nuit est de tenir la ligne est », explique-t-on à la sous-préfecture de Langon. Mais déjà, on prépare des lignes d’appui plus conséquentes beaucoup plus loin, en tentant d’anticiper le mouvement du feu. En l’état, seule une ligne large d’un kilomètre serait susceptible de bloquer les flammes, estiment les pompiers. À condition qu’il veuille bien se diriger vers le piège que lui tendent les soldats du feu.