Noyades
Sud-Ouest du 20 mai 2022
Sud-Ouest du 20 mai 2022
SÉCURITÉ DES PLAGES « Déployons momentanément des CRS nageurs sauveteurs »
Après les drames de ces derniers jours sur les plages de Gironde, Cyril Lambert, référent national pour les CRS nageurs sauveteurs à l’Unsa, plaide pour que l’État débloque des moyens temporaires
Des CRS sont déployés, l’été, sur la plage du Grand-Crohot, à Lège-Cap-Ferret, aux côtés de maîtres-nageurs sauveteurs civils. ARCHIVES LAURENT THEILLET / « SUD OUEST »
Ces derniers jours ont été meurtriers sur les plages de Gironde, avec trois morts par noyade à Lacanau et Lège-Cap-Ferret et un disparu au Porge. Les secours multiplient les interventions, les surfeurs repêchent des baigneurs en difficulté, emportés par des baïnes qu’ils ne savent pas localiser. Avec les fortes chaleurs de ce mois de mai, la côte connaît une fréquentation non négligeable. Mais nous sommes dans la fameuse période d’avant-saison et l’écrasante majorité des plages girondines ne sont pas encore surveillées. Serait-il possible qu’il en soit autrement ? « Oui, si l’État accepte de déployer des moyens », plaide Cyril Lambert, référent national à l’Unsa pour les CRS-nageurs sauveteurs. Depuis vingt ans, il est sauveteur, l’été, sur le littoral girondin.
Que vous inspirent les événements de ces derniers jours ?
Je pense aux familles endeuillées. C’est dramatique. L’une des difficultés pour la surveillance des plages, en France, c’est qu’il n’existe pas de sauvetage professionnel. À l’exception des nageurs sauveteurs CRS, c’est un emploi saisonnier. Les élus du littoral sont souvent démunis en avant et après saison. Nous, CRS, nous aurions des solutions à proposer. Nous sommes présents sur les plages, l’été, depuis soixante-quatre ans. Nous disposons d’un vivier de nageurs sauveteurs formés et testés à l’année, immédiatement opérationnels. Nous pourrions, en fonction d’événements ponctuels, comme de fortes chaleurs et une affluence sur le littoral précoces, être déclenchés temporairement pour tenir des postes de surveillance, faire du secours, de la prévention, sans oublier notre casquette de policier.
Ne serait-il pas compliqué de vous mobiliser du jour au lendemain ?
Le propre des CRS, c’est d’être déployés très rapidement. C’est donc faisable. La situation actuelle est problématique, alors mettons temporairement des CRS nageurs sauveteurs sur les plages les plus fréquentées et non encore surveillées. Nous avons les outils de prévision météo, de houle, qui permettent d’identifier les périodes à risque. Il serait intéressant qu’une table ronde soit organisée sur ce sujet, avec tous les acteurs.
Qui paierait ?
Le financement de la présence des CRS sur les plages est le suivant : les communes paient les frais de nuitée et de bouche, dans la limite d’environ 70 euros par jour et par fonctionnaire ; les salaires restent du ressort de l’État.
Pour l’instant, il ne semble pas question d’un déploiement anticipé de CRS sur les plages…
Nous devons arriver le 1er juillet et repartir le 28 août. J’ai connu l’époque, il y a vingt ans, où nous étions présents du 15 juin au 15 septembre à Lacanau. Nous sommes des policiers nationaux, donc des moyens de l’État. L’État estime que la surveillance des plages n’est pas une mission régalienne et renvoie les élus à leurs responsabilités. Il a commencé à déployer de moins en moins de CRS sur les plages au milieu des années 2000 et ça s’est accéléré à compter de 2016 (pour des raisons de sécurité liées à l’Euro de foot et à l’état d’urgence après les attentats, NDLR). Cette année, nous serons 273 sur les plages françaises, 22 de moins que l’an dernier.
Combien serez-vous en Gironde et Nouvelle-Aquitaine ?
Il y aura 101 CRS sur les plages de Nouvelle-Aquitaine, dont 43 en Gironde. Les 22 en moins par rapport à 2021 au niveau national viennent de la décision de trois communes landaises, Seignosse, Capbreton et Hossegor, de ne plus fonctionner avec des CRS. Cette décision a surpris tout le monde. Ces communes reprochaient notamment à l’État sa réponse tardive, la confirmation officielle ne tombant qu’en mai. Elles ont des moyens financiers que d’autres n’ont pas et ont aussi un vivier local de sauveteurs. Elles ont choisi de ne s’appuyer que sur lui. Ce vivier sera-t-il toujours présent dans les prochaines années ? La question se pose. Des élus de Nouvelle-Aquitaine, notamment de Gironde, ont demandé que ces 22 CRS soient redéployés sur la côte. Lège-Cap-Ferret espérait par exemple obtenir trois CRS en plus des huit mis à sa disposition. Mais l’État a refusé et les 22 CRS ne seront pas redéployés. C’est dommage.
Les récentes noyades montrent que beaucoup de baigneurs ignorent les dangers de l’océan. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai. J’encadre en ce moment un stage de CRS nageurs sauveteurs à Anglet. Mardi, on a sorti de l’eau une dizaine de baigneurs en difficulté qui n’avaient pas mesuré le danger. La prévention est essentielle. Au niveau de la direction zonale du Sud-Ouest, on mène des actions depuis deux ans, dans les écoles, les collèges, un travail qui va payer à l’avenir. Il serait aussi intéressant qu’une campagne nationale soit réalisée, comme ce qui se fait pour la Sécurité routière, avec des images chocs pour marquer les esprits.
Sud-Ouest du 19 mai 2022
Sud-Ouest du 19 mai 2022
LÈGE-CAP-FERRET / REPORTAGE « En une seconde, on avait de l’eau jusqu’au cou »
Se baigner reste très dangereux, ces jours-ci. Hier, sur la plage du Grand-Crohot, où deux personnes sont mortes mardi, un jeune a encore frôlé la noyade, sauvé par un surfeur, malgré les efforts de sensibilisations. Récit
Depuis la borne de secours, sur la bosse de la dune de la plage du Grand-Crohot, Matthieu (1) scrute, hébété, l’océan. Quelques instants plus tôt, juste avant 15 heures hier, un de ses amis a été emporté par une baïne, ces courants qui tirent les baigneurs vers le large. De là-haut, on distingue difficilement Stéphane Galissaire, le vice-président du surf club de la Presqu’île, tentant de le hisser sur sa planche. « Quand j’ai vu mon ami partir, j’ai commencé à courir. Il voulait prendre une vague un peu plus loin. C’est allé très vite », raconte Matthieu.
Un deuxième ami a failli partir aussi. « On avait de l’eau jusque-là, pointe celui-ci en montrant sa taille, et une seconde plus tard on en avait jusqu’au cou. » Lui, a réussi à vaincre le courant avant qu’il ne l’emporte. La vingtaine juste passée, les trois étudiants bordelais étaient venus profiter du soleil et de l’eau.
Des conditions extrêmes
En contrebas, Stéphane a réussi à ramener le jeune homme sur la plage, tout de suite soutenu et mis en position latérale de sécurité par d’autres plagistes. Le souffle court, il raconte : « Il flottait, inconscient. Je l’ai hissé sur ma planche et je l’ai réanimé. Je l’ai fait vomir une fois, deux fois… » Alors que les secours débarquent avec hélicoptère et 4x4 sur la plage, prenant en charge la victime dont l’état de santé n’était pas inquiétant, le surfer repart aussitôt assurer sa vigie, assis sur sa planche jaune barrée d’un « surf rescue » rouge. C’est la première fois en quarante ans de surf, à « sortir un cadavre de l’eau pas tous les ans mais presque », qu’il fait ça.
Il n’est pourtant pas sauveteur. Comme presque partout sur le littoral, les plages de la commune ne sont surveillées qu’à partir du 11 juin. Mais la veille, deux personnes sont mortes noyées au Grand-Crohot. Stéphane était déjà là, il en a sorti six autres de l’eau. « Après ça, tu dors pas bien, je commence à tirer la langue », concède-t-il, tout en prévoyant de passer l’après-midi à assurer le rôle de sauveteur bénévolement.
Mais il est en colère. « Pourquoi ils ne restent pas là, eux », lâche-t-il en pointant du doigt les pompiers qui mettent un coup de sirène pour inciter les baigneurs à ne pas s’engager plus loin que les orteils. Ces deux journées de mardi et mercredi étaient ciblées comme particulièrement dangereuses. La houle remonte du sud-ouest et exacerbe la force des baïnes. Aucune surveillance n’a été mise en place, trop compliquée à déployer au pied levé hors saison pour la municipalité. Selon le maire, Philippe de Gonneville, la surveillance pendant les trois mois d’été coûte déjà près de 500 000 euros, « essentiellement à la charge de la commune ».
Stéphane en veut aussi aux baigneurs imprudents : « Les gens n’ont pas conscience du danger. C’est monsieur tout le monde qui se fait emporter. Hier, il y avait un attroupement pendant qu’on essayait de réanimer une personne. Quand ils se sont lassés du spectacle, les gens sont retournés se baigner… »
De la prévention
Quelques heures plus tôt, en fin de matinée, Stéphane Galissaire s’était déjà installé sous un soleil de plomb que sa peau tannée ne semblait pas craindre, il avait regardé plusieurs fois sa montre. « Ça va devenir vraiment dangereux vers 14 heures », avait-il prédit. « Les gens pensent que c’est plus risqué quand la marée descend, mais en fait, c’est le contraire : quand elle monte, ça donne plus de force aux vagues. » Pour les surfeurs expérimentés, cette « houle d’hiver au printemps » faisait envie, « on a des conditions exceptionnelles ». « Je suis allé au large, c’est vraiment gros », confirme, fatigué, Adrien, un professeur de surf à Lacanau.
Pour éviter un nouveau drame, la mairie a pourtant déployé les moyens qu’elle a pu. Notamment la pose de panneaux bricolés à la va-vite, sur lesquels on peut lire « conditions exceptionnelles, baignade dangereuse ». Un employé municipal en installe un en bas de l’accès sous le poste de secours, sans vraiment y croire. « Il y en avait déjà, mais les gens n’écoutent pas, ne regardent pas… »
En début d’après midi, c’est la réserve communale de Sécurité civile qui s’est mobilisée. « Le maire nous a appelés à 12 h 30 et on est déjà sept sur place », déballe Mireille, feuille expliquant les courants à la main, qui intercepte les plagistes à l’entrée d’un accès. « Attention, aujourd’hui on barbote, mais pas plus haut que les genoux », incite-telle.
Les volontaires se sont déployés aux plages du GrandCrohot, du Truc Vert, et de l’Horizon. Juste après leur première intervention de la journée, les secours ont d’ailleurs dû repartir aussitôt sur cette dernière pour une nouvelle opération de sauvetage. Stéphane, quant à lui, n’a pas eu besoin de retourner à l’eau de l’après-midi.
(1) À sa demande, son prénom a été modifié