Manque de soignants aux urgences du CHU de Bordeaux
Sud-Ouest du 17 mai 2022
Sud-Ouest du 17 mai 2022
« Il faut laisser les urgences aux urgences »
Les urgences du CHU de Bordeaux manquent de soignants et réorganisent cet accès aux soins. Dès ce mercredi, la nuit, il faudra passer par le 15 puis sonner avant d’entrer
Entre Pellegrin et l’hôpital Saint-André, les urgences accueillent chaque jour 200 personnes. On est passé de 81 000 passages annuels en 2019 à 121 000 en 2021. ARCHIVES STÉPHANE LARTIGUE “SO”
Pas question d’employer le mot « fermeture ». Ce serait comme capituler, rendre son tablier, admettre que l’hôpital public ne fait plus son boulot. La lumière restera toujours allumée aux urgences du CHU de Bordeaux, jour et nuit. Mais la nuit désormais, et à compter de ce mercredi soir, entre 20 heures et 8 heures du matin, il ne sera plus possible de se présenter aux urgences adultes de l’hôpital Pellegrin sans passer par la case régulation. Le sésame sera le centre 15.
C’est la mort dans l’âme que la direction du CHU a pris cette décision, en accord avec toutes ses équipes de terrain, et en étroite discussion avec l’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine. « On ne ferme pas, on régule et uniquement aux urgences de Pellegrin, qui sont les plus sollicitées car les plus pointues de la région, explique Yann Bubien, directeur général du CHU de Bordeaux. C’est dans ce service qu’atterrissent les urgences vitales les plus graves, la moitié des patients sera hospitalisée après. Ailleurs, la moyenne d’hospitalisation tourne plutôt autour de 25 %. »
État des lieux très tendu
Le manque d’urgentistes n’est pas une spécialité territoriale, il est criant partout en France, démocratie médicale oblige. Le numerus clausus date de 1980, il a fait son œuvre. L’âge de la retraite a sonné pour la première génération, nous voilà plongés dans le creux de la vague. À Pellegrin, 40 % de médecins urgentistes manquent à l’appel désormais. « Nous avons été contraints de diviser par deux le nombre de box pour accueillir les patients, observe le professeur Philippe Revel, chef du pôle urgences et directeur du Samu. 12 box sont ouverts au lieu de 20, mais malgré ça, et malgré une fréquentation normale actuellement, nous n’arrivons plus à maintenir le flux. »
N’empêche que la fréquentation « normale » ne l’est plus tout à fait, puisque les urgences du CHU, entre Pellegrin et l’hôpital Saint-André, accueillent chaque jour 200 personnes. On décomptait, en 2019, 81 000 passages dans l’année pour 121 000 en 2021. « Il a fallu trouver des solutions pour désengorger le service à Pellegrin, réorganiser le système pour faire baisser la pression, assure Philippe Revel, tout en maintenant une sécurité pour les patients. »
« On adapte l’organisation à nos moyens, précise Yann Bubien, nous connaissons des tensions sur les ressources humaines depuis l’été 2021. Beaucoup de démissions, de contrats non renouvelés, de départs. Nous déplorons à ce jour encore 300 lits fermés sur les 2 600 existants. Trouver un lit d’aval (1) est un parcours du combattant pour les urgentistes. » Donc, dès 20 heures désormais, les urgences de Pellegrin n’accueilleront plus le va-et-vient des patients spontanés. Chaque cas sera évalué en amont.
Agir en amont
Les usagers devront téléphoner au centre 15 pour exposer leur situation, ils seront écoutés par des médecins du centre de régulation chargés de mesurer la gravité du cas exposé. Et de les guider vers une solution : les urgences, une clinique, SOS Médecins ou leur généraliste le lendemain. Cependant, ceux qui se présenteront aux urgences sans avis médical devront s’expliquer avec des agents de la protection civile et de la sécurité postés à l’entrée. À eux d’évaluer le niveau d’urgence et de filtrer. Un poste médical a été installé avec pour ambition d’accueillir bientôt les permanences de médecins généralistes sur la base du volontariat et ainsi soulager les urgences.
« On compte, grâce à cette mesure faire baisser de 30 personnes le nombre de patients par jour à Pellegrin, note Nicolas Grenier, président de la commission médicale d’établissement, ce qui va permettre d’alléger la charge de travail des médecins qui est beaucoup trop lourde aujourd’hui. Il faut laisser les urgences aux urgences. » Par ailleurs, les urgences de l’hôpital Saint-André, à Bordeaux-centre, n’ont rien changé dans leur mode de fonctionnement, ni même les urgences pédiatriques où l’on peut se rendre sans préalable. Évidemment, les urgences cardiaques à l’hôpital Haut-Lévêque et la maternité restent totalement ouvertes.
L’organisation sera-t-elle ou pas temporaire, l’avenir nous le dira. Mais l’avenir tout proche qui se profile concerne la saison estivale. Yann Bubien le concède : « À peine la crise Covid terminée que nous avions déjà mis en place une cellule de régulation de tension hospitalière. Agir sur l’amont est le premier moyen pour alléger les urgences, et, pour la suite, nous avons lancé une campagne de recrutement dont nous attendons beaucoup… »
(1) Un lit pour les patients devant être hospitalisés à la sortie des urgences.