Covid-19
Sud-Ouest du 11 novembre 2021
Sud-Ouest du 11 novembre 2021
Un passe contre une troisième dose : le sujet fait débat
Pour contraindre les plus de 65 ans à la piqûre de rappel de vaccin contre le Covid-19, le gouvernement joue la carte passe sanitaire. La décision fait débat parmi les scientifiques
Les médecins traitants, les infirmiers, les pharmaciens pourront injecter la troisième dose. STEPHANE LARTIGUE / “SUD OUEST”
«Quoi ? Mon passe sanitaire désactivé si je refuse la troisième dose ? Manque plus que ça ! » Micheline a70 ans. Elle vit à Lévignacq, dans les Landes, et s’est soumise à contrecœur aux deux premières doses pour « rassurer ses filles », dit-elle.
Depuis l’allocution d’Emmanuel Macron, mardi soir, elle ronge son frein. La troisième dose obligatoire la fiche en pétard, elle, génération 68 « Il est interdit d’interdire », qui faisait valser son soutif aux manifs féministes. On est loin du pouvoir des fleurs. « Jusque-là, j’hésitais pour la troisième dose, je ne me sentais pas concernée. Mon vaccin date du mois de juin. Mais si je n’ai plus le passe sanitaire, je ferai ce rappel chez le pharmacien, parce que si je veux être libre, je n’ai plus le choix. »
« Les preuves sont légères »
Frédéric Altare, immunologiste directeur de recherche à l’Inserm de Nantes, soutient la troisième dose pour les personnes les plus fragiles. « Les coronavirus sont des virus dont on sait, chez l’animal, que la protection n’est pas éternelle. À un moment, la vaccination perd en efficacité. Pourtant, les études montrent un maintien de l’immunité à six mois, y compris pour les personnes très âgées. Je pense que l’exécutif s’est basé sur la situation en Israël, où l’on a constaté un retour à l’hôpital de personnes doublement vaccinées, présentant des formes sévères de la maladie. Cependant, ces cas sont rares et concernent des gens très affaiblis à la base. Sans doute le gouvernement a-til préféré la prudence : ceinture et bretelles… Je m’étonne pour la troisième dose des 50 ans et plus. Sur le plan scientifique, les preuves sont légères. »
Actuellement, parmi les personnes hospitalisées pour Covid, seulement 15 % sont doublement vaccinées. Au CHU de Bordeaux, 9 sur 10 parmi les hospitalisés n’ont aucun vaccin.
Un passe outrepassé
Le professeur en santé publique François Alla, s’il comprend la nécessité de la dose de rappel par précaution, a du mal à saisir le lien avec le passe sanitaire. Et le pharmacologue Bernard Bégaud considérait aussi que c’était « une erreur ».
Pour aller dans leur sens, le 28 octobre dernier, l’Académie de médecine avait publié un communiqué intitulé : « Ne pas outrepasser le passe sanitaire ». L’Académie déconseillait alors au gouvernement de conditionner la validité du passe sanitaire à l’administration d’une dose de rappel pour les personnes de plus de 65 ans. « Cette mesure transgresse le rôle dévolu au passe qui était de limiter le risque de transmission du virus et d’inciter la population à se faire vacciner, écrivait-elle. Cette mesure induit une incertitude sur l’efficacité de la vaccination et suscite une discrimination injustifiée à l’égard des gens déjà vaccinés. »
Contraindre les plus de 65 ans à accepter la troisième dose pour les protéger mieux dans un contexte épidémique à la hausse – le taux d’incidence dépasse le seuil d’alerte en France –, et surtout compte tenu d’une campagne vaccinale à la traîne, était dans l’ordre des choses. Même si l’étude Epi-Phare, menée en vie réelle sur 22 millions de Français, affiche une efficacité de plus de 90 % sur les formes graves de Covid chez les plus de 50 ans, à cinq mois de l’injection. « L’efficacité ne s’effondre pas d’un seul coup, admet Frédéric Altare, elle baisse petit à petit… »
Changer le logiciel de 2020
Le professeur François Alla rappelle le principe du passe sanitaire : « L’objectif, lorsqu’il a été mis en place, était d’éviter les décès et les hospitalisations. Il y avait urgence. Aujourd’hui, imposer une telle mesure, alors que les deux doses protègent quand même… Cela perd du sens. »
François Alla pose des questions en termes de santé publique : « Une troisième dose pour les 50 ans et plus ne s’impose pas. Quid du passe sanitaire pour eux ? » Il estime que la situation a évolué depuis 2020 et qu’il faut « changer le logiciel ». « On n’est plus aujourd’hui dans la même urgence, dit-il. Face à l’efficacité du vaccin, nous sommes en situation endémique, avec un virus saisonnier ou presque. On ne va pas exiger un passe, conditionné à une vaccination tous les six mois ? Que se passera-t-il dans six mois, s’il faut une quatrième dose ? Le passe va-t-il devenir pérenne ? »
Selon lui, la priorité reste encore la première dose : « On est les derniers en Europe de l’Ouest sur la non-vaccination des plus de 80 ans. Or, ce sont eux aujourd’hui qui sont les plus vulnérables et ils sont laissés pour compte. »
En effet, 6 millions de Français ne sont toujours pas vaccinés du tout. Parmi eux, 2 millions ont plus de 50 ans et 500 000 plus de 80 ans. Pour eux, il ne s’agit pas de relancer une immunité, mais de la déclencher. De les sauver.