Inondations
Sud-Ouest du 19 juin 2021
Sud-Ouest du 19 juin 2021
« Depuis cinquante ans, je n’ai jamais vu ça »
Les orages ont violemment touché ce jeudi soir une quinzaine de communes de la rive droite bordelaise. À Artigues-près-Bordeaux, on y est malheureusement habitué
La chambre de l’enfant devenue pataugeoire, rue des Genêts, à Artigues-près-Bordeaux. Ce caisson d’1,5 tonne a été emporté par le cours d’eau en crue. Jérémy Méraste, lui, a attrapé deux carpes dans son jardin inondé. Y. D. ET T. V.
La classique et brune teinture sur le crépi blanc donne la mesure de la montée des eaux la veille sur la maison de Sabine. Sabine aux soupirs lourds comme le ciel de cette soirée où des tonnes d’eau se sont abattues très violemment et en une petite heure et demie sur la commune. À cinquante mètres du pavillon, le ruisseau du Desclaux s’est, lui aussi et en premier, levé de son lit pour inonder le lotissement en ce point bas d’Artigues-près-Bordeaux.
« L’eau est montée jusqu’à 1,20 m », raconte l’habitante en train de débarrasser son garage où elle a surélevé en urgence son électroménager, sans succès. « Nous sommes allés dormir chez des voisins. » Le souvenir de juillet 2013 est vite revenu, puisque les intempéries avaient eu les mêmes conséquences. « J’en ai pour deux mois de nettoyage et six mois pour réaménager, puis la vendre à la Métropole : ubuesque. » Sabine est la dernière habitante d’un groupe de 12 maisons progressivement rachetées par la collectivité au regard du danger constaté lors de la crue de cette année-là. « J’allais partir à mon tour, souffle Sabine, après vingt et un ans dans cette maison que j’avais quand même du mal à quitter : mes trois enfants y sont nés. » La commune a été touchée ce jeudi soir le long de ce cours d’eau qui serpente sur plusieurs kilomètres, juste après Tresses où il prend sa source. Dans le quartier du Golf en bas duquel le Desclaux passe, on n‘avait pas encore été touché par la moindre crue. Le caisson de piscine que Thierry Verdon est en train de faire aménager a été emporté sur plusieurs dizaines de mètres. « Une tonne et demie quand même », s’étonne-t-il encore. La boue recouvre chemin et sols.
Évacuer les coulées de boue
Dans la rue des Genêts, c’est le deuxième branle-bas de combat, après celui de l’orage de la veille. Le ruisseau, là, fait une chicane et les protections ont manqué pour empêcher l’eau d’encercler cinq maisons. « Lætitia, tu veux du café ? » L’habitante est penchée sur sa raclette et tente d’évacuer les coulées de boue. Le pot du petit de trois ans trône dans le séjour. Bruno Lestage, le mari, constate : « En 2013, on venait d’emménager quand c’est arrivé, mais c’était l’épaisseur d’une serpillière. Là, on avait 40 cm dans le séjour ! » Le panneau « Welcome » flotte dans l’entrée.
« De l’eau jusqu’à la taille »
« On regardait ‘‘Lupin’’ mais on n’a pas eu le temps de savoir si c’était bien ou pas », raconte-t-il, sourire jaune. Les voisins sont venus nous prévenir, on n’avait rien vu au départ. La belle-mère s’échappe par la fenêtre avec de l’eau jusqu’à la taille et regagne sa maison sans encombres. L’enfant est amené chez la nounou où le couple dormira, ou essaiera, quelques heures plus tard. L’eau a commencé à baisser vers 1 h 30 ce vendredi.
Bruno montre les photos et vidéos prises pendant cette trop longue soirée et cette matinée à constater, dégager, nettoyer. L’une d’entre elles est prise le lendemain à 7 h 30. Son voisin Jérémy Méraste tient une belle carpe dans ses mains. « J’en ai attrapé deux comme ça dans mon jardin », raconte ce dernier. « L’eau a tout inondé et ne s’est pas complètement retirée, coinçant les poissons que j’ai pris avec l’épuisette de la piscine. » Et de confier qu’il s’en serait bien passé de ces carpes de visite.
Chez Jérémy, l’eau a défoncé le portail. Chez un autre, ce sont tous les meubles qui sont à jeter. « Depuis cinquante ans que j’habite le quartier, je n’ai jamais vu ça », assure une septuagénaire habitant sur des hauteurs protégées et venue donner un coup de main. Le maire Alain Garnier fait le tour des sinistrés. « On a une douzaine de familles qui n’ont pas pu dormir chez elles », informe-t-il. « On s’en sort plutôt bien. » À Tresses, Ambarès ou Latresne, les familles relogées sont plus nombreuses.
Mais à Artigues, c’est la répétition qui agace. « Vous surélevez ici, empêchez ainsi l’eau de déborder dans la chicane et on est protégé », suggère Bruno au maire. « Mais le problème va se décaler un peu plus loin », répond l’élu. Depuis les inondations de 2013, un plan d’aménagement du bassin hydraulique local a mis six ans à se mettre en place. Les premières des cinquante actions prévues jusqu’en 2029 ont démarré cette année 2021. Pluviométrie exceptionnelle aussi. « Cela va se produire de plus en plus souvent », note Solange, une amie venue en renfort pour faire l’état des lieux pour l’assureur. « Le dérèglement climatique, cela vous dit quelque chose ? » La vétusté des réseaux d’eaux pluviales et usées. « On construit à tour de bras sur cette couronne de la rive droite bordelaise : adapte-t-on les infrastructures ? », demande Solange. Aurait-elle tout compris, Solange ?
Sud-Ouest du 19 juin 2021
« Tout est fichu, ça fait mal au cœur, il n’y a plus d’école ! »
Réveil douloureux, hier, sur la rive droite bordelaise. Le secteur a été le plus affecté par les fortes pluies de la nuit. Reportage à Tresses et à Latresne, communes parmi les plus durement touchées
Latresne, vendredi 18 juin. Le centre-bourg s’est retrouvé sous un mètre d’eau en pleine nuit. Quelque 100 habitations ont été sinistrées. THIERRY DAVID/« SUD OUEST »
En pénétrant dans l’école maternelle de Tresses, petite commune de la rive droite bordelaise, Christophe et d’autres employés de la municipalité n’en croient pas leurs yeux. Les inondations de la nuit ont retourné l’établissement, plongé sous une épaisse couche de boue ce vendredi 18 juin au matin. « C’est la misère, il n’y a plus d’école ! On a pris une vague », se désole Christophe, à l’entrée.
Il est 7 h 30. Des jouets et des feutres sont embourbés sur le palier. À l’intérieur, tables et autres bancs, trimbalés par les eaux, s’entremêlent. Les uns et les autres se déplacent à tâtons dans les couloirs. « Il n’y a pas grand-chose à récupérer », estime Véronique Szpak, la directrice, en découvrant une des salles de classe. La porte du fond a « explosé » sous le poids de l’eau. « Tout est fichu ! Ça fait mal au cœur », confie Nathalie Georges, institutrice des petits et moyens, les larmes aux yeux.
« Jamais vu ça »
Le drame est intervenu à deux semaines du terme de l’année scolaire, peu de temps avant un chantier d’agrandissement de l’école. « On ne sait pas si on va pouvoir rouvrir », confie Christophe Viandon, premier adjoint au maire. « Tout le bourg a été touché : la mairie, les deux écoles, les services techniques. »
Dans la nuit, six familles ont été accueillies à la salle multisport des hauteurs, avant d’être relogées dans un hôtel de la ville. Dans la salle de sport du bourg, un papa, pas informé des dispositifs de la municipalité, a laissé ses enfants à l’association des Francas. Loin de la gueule de bois extérieure, le plus grand s’amuse à mettre des paniers de basket pendant que sa sœur fait des coloriages avec une éducatrice.
«Il faut qu’on aille voir en mairie, on va recevoir pas mal d’appels », lance une fonctionnaire à une grappe de femmes devant la mairie. Employés, amis, administrés : chacun veut apporter sa pierre à l’édifice du nettoyage. Deux hommes balayent les abords de la mairie pour retirer tout ce qui a pu être charrié par l’eau. Dans les bureaux vidés de leurs eaux, on s’active. Les tables sont encore recouvertes des chaises et des cartons. « Les services ont remonté tous les dossiers à la débauche », précise Christophe Viandon.
En fin de soirée, l’eau de la Rouille voisine est montée. Très vite. Si la commune avait été marquée par d’imposantes inondations en 2013 et 2019, « on n’a jamais vu ça », assure Christophe Viandon. « Toutes les communes de la rive droite ont été touchées. Globalement, on n’est pas les plus malheureux », poursuit l’élu.
« Traumatisant »
Latresne (3 000 habitants) fait partie des plus sévèrement touchées : 150 personnes ont été relogées dans la nuit. Plus de 100 habitations et une dizaine de commerces, dont la station essence, ont été sinistrés.
À 8 h 45, le centre-bourg s’est réveillé sous le choc. L’eau était montée d’un mètre à 2 heures. Au réveil, la Pimpine déborde encore. Toutes les routes sont coupées, impraticables ou encombrées par des gens cherchant à rejoindre leur travail.
En milieu de matinée, le maire, Ronan Fleho, a tenu un point presse devant la mairie, transformée en cellule de crise. À 11 heures, la décrue s’amorçait doucement, mais le cœur du bourg restait inaccessible. Les dégâts sont considérables. Par solidarité, les commerçants gardent leurs boutiques fermées. Le restaurant La Table du Renard bleu organise un déjeuner solidaire pour les habitants les plus touchés.
« Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive mais, là, ça a été fort », remarque « Mady » Lançon. La vieille dame, riveraine de la route de la Seleyre, a eu jusqu’à 30 cm d’eau dans sa maison. Sa «petite femme de ménage » lui a rehaussé ses meubles. Ce vendredi matin, son fils, un gendre et une amie écopent. « À l’âge que j’ai, c’est traumatisant », confie-t-elle.
Plus au nord, les centaines de logements et leurs habitants le long du Desclaux ont connu une nuit et une matinée de désolation également. « En 2013, je venais d’emménager quand le Desclaux a débordé, se souvient Bruno Lestage. Je n’avais que l’épaisseur d’une serpillière. Là, ma belle-mère est sortie par la fenêtre, de l’eau jusqu’à la taille. » Dans la salle à manger, la désolation boueuse d’une nuit blanche à essayer de sauver ce qui peut l’être, puis de trouver refuge… chez la nounou de son enfant. Dans cette commune habituée aux débordements du cours d’eau et ses affluents la traversant du sud au nord, des secteurs jusque-là préservés, comme celui du Golf, ont cette fois-ci été touchés.