Covid-19
Sud-Ouest du 28 avril 2021
AstraZeneca, le soupçon s’étend malgré «l’urgence de vacciner»
Suspendu en raison d’effets indésirables, avant d’être abandonné par certains pays, ce vaccin sème le doute en France, mais fait encore de la résistance. Explications
Le vaccin du laboratoire suédo-britannique est toujours sur la sellette. LUIS ACOSTA / AFP
Cette semaine, la France a reçu 2,1 millions de doses du vaccin AstraZeneca. 15 millions de Pfizer. Le pays vaccine, dans des centres de vaccination, dans les pharmacies, chez les médecins généralistes, dans les entreprises, les Ehpad, en vaccinobus dans les zones rurales, à domicile avec les infirmières. Et malgré l’urgence de la situation, nombre de « vaccinables » rechignent face à l’AstraZeneca désormais réservé aux plus de 55 ans. Ce vaccin, qui pourtant a réussi aux Anglais, fiche la trouille. Doit-on jeter les doses par la fenêtre ?
« Surtout pas, alerte le professeur Mathieu Molimard, chef du service pharmacologie du CHU de Bordeaux. On n’a pas les moyens de s’en passer pour l’instant. Le rapport bénéfice-risque reste très favorable pour les plus de 55 ans, d’autant qu’on traverse une pleine période épidémique. Lundi, en France, nous avons déploré 400 décès du Covid. »
À l’origine de la défiance face à ce vaccin, des cas très rares de thromboses, des décès, suivis d’une suspension des vaccinations en Europe, de l’abandon, notamment du Danemark, de l’Afrique du Sud… Tandis que la Commission européenne ferme le robinet et tourne le dos à l’AstraZeneca, au motif de livraisons non conformes, le professeur en pharmacologie bordelais, Bernard Bégaud doute : « Pas grand monde ne croit en cette raison. » Et va encore plus loin : « Dès le début, l’Agence européenne s’y est mal prise. Les autorités sanitaires ont communiqué de façon inadaptée, pourtant, nous avions du recul. Chaque fois qu’il a fallu organiser des campagnes de vaccination massives en France, nous avions connu des problèmes : H1N1, Hépatite B, etc.. Et nous n’en avons tiré aucune leçon ! »
Impréparation
La faute ne viendrait donc pas du vaccin, mais d’une communication défaillante. « Depuis plus d’un an, poursuit-il, nous savions qu’il faudrait vacciner tout le monde, y compris les jeunes et même les enfants, car ils sont des réservoirs à virus. Lorsqu’on vaccine à grande échelle des millions de gens, il y a des événements, des décès, pas forcément liés au vaccin d’ailleurs. Sachant cela, il aurait fallu préparer les professionnels de santé de terrain, particulièrement les médecins généralistes, avec une information rigoureuse, des messages clairs à relayer. Cette action aurait dû se bâtir avec eux. »
D’après les médecins, les scientifiques, les professionnels de santé de terrain, ce n’est pas d’un manque de transparence dont souffre cette campagne mais d’un « déni de sciences », comme le qualifie Bernard Bégaud. « D’ailleurs, poursuit-il, le Conseil scientifique, dont j’ai lu tous les rapports, ne s’est jamais trompé. Je travaille sur les vaccins depuis 30 ans, dans un pays où la réticence vaccinale est la plus forte du monde et pourtant, nous n’étions pas prêts. » Emballement Les Norvégiens et les Danois ont lancé, début mars, l’alerte à propos de cas de thromboses cérébrales chez des personnes jeunes, vaccinés à l’AstraZeneca.
Emballement.
Dans la foulée, la France a interrompu durant deux jours la vaccination, afin de laisser à l’Agence Européenne du médicament le temps d’enquêter.
« À ce moment là, reprend le professeur Bégaud, l’agence européenne envoie, avec beaucoup de retard ce communiqué : le taux de thrombose observé chez les vaccinés n’est pas plus élevé que dans la population générale. Or, leurs calculs étaient faux. Une erreur d’un facteur de 20 à 30. Cela a donné du grain à moudre aux antivax. Les chiffres rectifiés ont montré d’emblée que le rapport bénéfice-risque était problématique pour les jeunes vaccinés, parce qu’ils sont plus amenés à faire ce type de thrombose, et moins de formes graves de Covid. »
L’exact inverse des seniors, pour qui, l’AstraZeneca se révèle, selon ce dernier, un « excellent rapport bénéfice risque. Repositionner l’AZ chez les plus âgés était la solution, mais l’abandonner, quel gâchis ».
Seconde injection ?
La Haute Autorité de Santé va, en fin de semaine, publier ses dernières préconisations de vaccination. Ceux qui ont bénéficié d’une première injection d’AstraZeneca se questionnent, en attendant la seconde. Au CHU de Bordeaux, Mathieu Molimard, attend les recommandations, mais parie sur une deuxième injection d’AstraZeneca pour les plus de 55 ans et une deuxième injection de Pfizer pour les moins de 55 ans « bien qu’on ne connaisse pas encore la réactogénicité d’une seconde injection Pfizer, après l’AstraZeneca ». Selon lui, l’incendie Covid n’est pas éteint : « Il y a encore le feu dans l’immeuble, certes quelqu’un est tombé de l’échelle, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut l’ôter. L’AstraZeneca est cette échelle. Quand il n’y aura plus le feu, on pourra l’enlever et prendre l’escalier. »
Sud-Ouest du 28 avril 2021
Vers la fin de son utilisation dans l’Union Européenne ?
Avec le recours en justice déposé par la Commission européenne contre AstraZeneca, la collaboration entre les deux parties devraient prendre fin. Le laboratoire se défend
Lundi 26 avril, l’Union européenne (UE) a annoncé sa volonté d’intenter une action en justice contre le laboratoire AstraZeneca, producteur du vaccin du même nom, destiné à prémunir du Covid-19. Une procédure judiciaire qui remet en cause l’utilisation future du vaccin suédo-britannique au sein de l’UE.
Cette action en justice est le dernier épisode en date de la relation tumultueuse qu’entretiennent AstraZeneca et les 27. Aux retards de livraison invoqués par la Commission européenne pour justifier sa procédure judiciaire, s’ajoutent des soupçons de stocks cachés, des cas (rares) de thromboses suite à l’injection d’AstraZeneca ou encore un vaccin pas suffisamment efficace face aux variants du coronavirus. « Les termes du contrat (signé par l’UE au nom des États membres) n’ont pas été respectés », explique Bruxelles.
Confiance brisée
AstraZeneca n’a ainsi fourni au premier trimestre que 30 millions de doses à l’UE sur les 120 millions promises contractuellement. Au deuxième trimestre, il ne compte en livrer que 70 millions sur les 180 millions initialement prévus. Des défauts de livraison dus à plusieurs facteurs. Le laboratoire a en premier lieu imputé ces retards aux différentes interdictions faites par Donald Trump puis Joe Biden d’exporter des vaccins conçus aux États-Unis.
Le 25 mars dernier, un nouveau scandale a éclaté après la découverte de 29 millions de vaccins dans une usine de la banlieue de Rome. Les enquêteurs avaient été dépêchés par Bruxelles à la demande du Commissaire européen, Thierry Breton qui souhaitait faire la lumière sur la quantité de doses réellement produites par AstraZeneca, soupçonné de privilégier le marché britannique.
Cette confiance brisée a mené l’UE à prendre la décision de ne pas activer l’option du contrat qui lui aurait permis d’acheter 100 millions de doses d’AstraZeneca supplémentaires. Dans l’action au civil intentée par Bruxelles envers le laboratoire, les 27 « devraient demander soit la résiliation du contrat pour non-exécution, avec des dommages et intérêts, soit l’exécution du contrat [les livraisons], ce qui est peu probable », estimait la semaine dernière l’avocat belge; Arnaud Jansen. AstraZeneca promet de son côté de « fermement se défendre ». Le groupe pharmaceutique dit avoir « complètement respecté » le contrat noué avec l’UE et espère avoir « l’occasion de régler ce différend le plus tôt possible ».
Un tel différend entre Bruxelles et AstraZeneca pourrait définitivement enterrer la confiance européenne envers le vaccin suédo-britannique. En France, la Haute autorité de santé a jugé le vaccin non suffisamment efficace face aux variants du Covid et a restreint son utilisation sur les moins de 55 ans. Ce mardi, « Le Monde » rapportait encore que le Danemark et la Norvège cherchaient à se débarrasser de leurs doses restantes.
Sud-Ouest du 28 avril 2021