Procès du Médiator
Sud-Ouest du 30 mars 2021
Condamné, Servier s’en sort bien
Le laboratoire a été condamné pour « tromperie aggravée » et « homicides et blessures involontaires » mais relaxé pour « escroquerie »
L’ancien numéro 2 de la firme Jean-Philippe Seta, plus haut gradé sur le banc des prévenus, écope de quatre ans de prison avec sursis et de 75 000 euros d’amende. THOMAS COEX/AFP
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné lundi les Laboratoires Servier à une amende de 2,7 millions d’euros pour « tromperie aggravée » et « homicides et blessures involontaires ». L’ancien numéro 2 de la firme Jean-Philippe Seta, plus haut gradé sur le banc des prévenus (le fondateur du laboratoire, Jacques Servier, est mort pendant l’instruction) écope de quatre ans de prison avec sursis et de 75 000 euros d’amende. L’Agence du médicament a pour sa part été condamnée à 300 000 euros d’amende (le montant maximal encouru).
Ainsi s’achève le volet pénal de l’un des plus gros scandales sanitaires depuis l’affaire du sang contaminé. Sous réserve d’un appel du parquet ou du laboratoire. Mais il est probable que le laboratoire y regardera à deux fois avant de solliciter l’avis de la cour d’appel. La peine qui lui est infligée est loin du maximum de 10 millions d’euros encouru au regard de l’ensemble des poursuites. De même, les 180 millions de dommages et intérêts qu’il devra verser aux parties civiles sont loin du milliard demandé. Et, le tout ramené aux 400 millions d’euros engrangés grâce au coupe-faim durant les quatorze années pendant laquelle sa commercialisation est contestée, d’aucuns trouveront que Servier s’en sort bien… Car si le tribunal lui a infligé la peine maximum pour les délits pour lesquels il a été condamné, une relaxe sur le délit d’escroquerie a largement atténué la note.
Le tribunal a relevé « l’extrême gravité des faits », pointant « une fraude d’une ampleur considérable et inédite, dont ont été victimes des milliers de patients ». En clair, il est reproché au laboratoire d’avoir maintenu envers et contre tout la commercialisation d’un médicament « dont le bénéfice était très discutable, au mépris de la sécurité des patients et des conséquences sur la santé publique ». Le tribunal a fustigé l’attitude des prévenus « qui ont tout mis en œuvre pour retarder la prise de conscience du danger présenté par le Mediator, notamment en dissimulant la réalité de ses propriétés, les effets secondaires et indésirables du médicament ». Le tribunal leur reproche d’avoir adopté un « discours trompeur » en insistant sur les différences entre le médicament et un autre produit interdit « malgré les similitudes métaboliques, pharmacologiques et cliniques, puis les effets indésirables graves découverts ».
« Risques mortels »
Les juges pointent « une stratégie de déconsidération » des travaux qui auraient pu conduire à l’interdiction du produit, notamment une alerte de pharmacovigilance émise par un cardiologue marseillais en 1999 alors qu’ils disposaient « depuis 1995 de suffisamment d’éléments pour prendre conscience des risques mortels qu’ils faisaient courir aux patients ».
Mais sur le volet « escroquerie », c’est-à-dire l’accusation d’avoir enfumé les caisses de la Sécurité sociale en dissimulant les propriétés anorexigènes du Mediator (qui motivaient pourtant l’essentiel des prescriptions) pour ne mettre en valeur que des indications liées au diabète, les juges ont estimé les faits insuffisamment caractérisés à cause, notamment, de la prescription.
Le tribunal a également fustigé l’Agence du médicament accusée d’avoir « gravement failli à sa mission » de police du médicament. Le système de pharmacovigilance avait été étrillé par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales signé par Aquilino Morelle. Celui-ci avait pointé le rôle de certains experts mais épargnait, à la surprise de beaucoup d’observateurs, le sommet des instances chargées de la politique du médicament, dont les directeurs successifs de l’Agence du médicament.
Délits de pantouflage
Lors de l’enquête, il était apparu que sept experts ou anciens experts du système de surveillance du médicament avaient des liens rémunérés avec le laboratoire Servier. Mais le tribunal a estimé qu’à l’exception de l’un d’entre eux (Bernard Rouveix a été condamné à un an de prison), le délit de prise illégale d’intérêt n’était pas constitué ou était prescrit. Deux d’entre eux ont néanmoins été condamnés pour des délits de pantouflage, soit d’avoir accepté des travaux rémunérés auprès d’un opérateur privé sans l’avis de la commission de déontologie. Jean-Michel Alexandre, et Jacques Massol ont été condamnés à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende.
À l’origine de la découverte du scandale, l’opiniâtre pneumologue du CHU de Brest Irène Frachon s’est déclarée « satisfaite » que la tromperie ait été reconnue mais n’a pas caché son « amertume » au regard des « faibles peines » infligées, déplorant la difficulté à sanctionner la délinquance en col blanc.