Covid-19
Sud-Ouest du 31 janvier 2021
Sud-Ouest du 31 janvier 2021
Le pari risqué d’Emmanuel Macron
COVID-19 S’il a ordonné la fermeture des centres commerciaux, le gouvernement a choisi de repousser un éventuel confinement. Une décision politique autant que sanitaire d’Emmanuel Macron
Hier, dans les allées de Quartier Libre, à Lescar, près de Pau. Il fait partie des centres commerciaux non-alimentaires de plus de 20 000 m2 concernés par la fermeture. PH. D. LE DEODIC/« S0 »
Pas de reconfinement, dans l’immédiat en tout cas : l’annonce de vendredi soir a surpris. Depuis une semaine, le gouvernement multipliait les signaux inquiets. Mercredi, Gabriel Attal, porte-parole, évoquait la piste d’un «confinement très serré». Jeudi, Olivier Véran disait craindre « une vague épidémique encore plus forte que les précédentes ».
Toute la communication des ministres a semblé, ces derniers jours, préparer l’opinion à un troisième confinement. Un levier que le gouvernement a finalement choisi de ne pas activer, malgré un nombre de cas quotidiens en « plateau élevé » (plus de 24 000 en 24 heures, lire par ailleurs), et malgré la crainte d’une explosion de l’épidémie, sous l’effet du variant anglais du virus.
«Rupture»
« Cette décision est une rupture. Jusqu’ici, depuis le début de la crise sanitaire, la France a choisi, comme deux autres pays d’Europe du Sud, l’Espagne et l’Italie, une stratégie très coercitive, pyramidale, nationale », note Jocelyn Raude, sociologue de la santé. « C’est un arbitrage d’Emmanuel Macron. Il a eu le courage d’aller contre la doctrine portée par son Premier ministre, son ministre de la Santé et une bonne partie de la bureaucratie médicale, contre sans doute ses propres réflexes, liés à sa formation de haut fonctionnaire. Il a opté pour la moins mauvaise des solutions, en permettant le maintien d’une activité scolaire et économique », estime, joint par « Sud Ouest », l’entrepreneur Mathieu Laine, proche du chef de l’État et auteur de l’essai « Infantilisation », paru aux Presses de la cité.
Un élément a pesé dans la décision de l’Élysée : l’acceptabilité de nouvelles restrictions. Les enquêtes d’opinion montrent une érosion du consentement au confinement. En mars, 90 % de la population y était favorable. En novembre, environ 60%. «À présent, les sondages décrivent une population divisée, avec un net clivage générationnel. Les personnes âgées soutiennent le confinement, la jeunesse le rejette. À ces sondages s’ajoutent les protestations constatées ces derniers jours à l’étranger, aux Pays-Bas notamment», précise Jocelyn Raude.
Emmanuel Macron a fait le choix d’écouter la lassitude de l’opinion publique, mais s’expose à être tenu pour responsable si les courbes s’affolent. Il lui sera reproché d’avoir confiné trop tard. Certains médecins ont déploré hier des mesures «très insuffisantes ». « Plus vous reculez, plus ça monte, et plus ça va être long », a regretté le professeur Gilbert Deray.
Emmanuel Macron prend un risque politique, mais il marque aussi son indépendance à l’égard du Conseil scientifique, dont le président Jean-François Delfraissy jugeait dimanche dernier un reconfinement urgent. « Le politique reprend le pouvoir sur le médical, c’est très bien, et c’est un épidémiologiste qui vous le dit! » commente le professeur bordelais Roger Salamon. « 20 000 cas quotidiens, c’est trop élevé, mais nous n’assistons pas, pour l’instant, à une explosion. La pression dans les services de réanimation est forte dans les hôpitaux de l’Est ou de la Côte d’Azur, avec 60 à 80 % de patients Covid, mais beaucoup moins dans la moitié ouest du pays. Il n’y a pas, à ce stade, urgence à imposer un nouveau confinement qui a des effets lourds sur la société, y compris au plan sanitaire. Le confinement ne permet pas d’éteindre le virus, mais de ralentir sa progression pour éviter une saturation des hôpitaux. On n’y est pas.»
Prise de risques
« En mai, déjà, Emmanuel Macron s’était démarqué du Conseil scientifique en accélérant le déconfinement, à raison puisque l’épidémie a franchement reculé jusqu’en août», rappelle Jocelyn Raude. Fautil comprendre que le Conseil scientifique n’est pas fiable? «Ses membres sont d’une compétence incontestable, mais dans la majorité issus de la même discipline, l’infectiologie. On a parfois l’impression qu’ils n’envisagent pas l’ensemble des effets d’une politique de santé. Il n’y a pas, par exemple, de représentants de la psychiatrie, qui pourrait alerter sur les conséquences en termes de santé mentale », explique Jocelyn Raude.
La prise de risques d’Emmanuel Macron est limitée dans le temps. Vendredi, Jean Castex n’a pas exclu un nouveau confinement à très court terme si la situation se dégrade. «Ces prochains jours seront déterminants », a-t-il insisté.
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