Coronavirus
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Sud-Ouest du 16 juin 2020
Sud-Ouest du 16 juin 2020
À l’hôpital, le retour de la colère
SANTÉ En plein Ségur de la santé, alors que la pandémie reflue, l’hôpital public ne souffle pas : il s’essouffle à nouveau. Les manques réapparaissent. Ce mardi, l’hôpital sera dans la rue
Après le Covid-19, les soignants manifestent dans la rue aujourd’hui pour exprimer leur colère. ARCHIVES DAVID LE DEODIC/« SUD OUEST »
L’une perd ses dents. L’autre a déclaré une sciatique paralysante. Ici, un trouble musculo-squelettique. Là une dépression. Il y a des cheveux qui tombent, la tension qui baisse trop bas, les douleurs, l’envie de pleurer. Régine raconte, elle est infirmière au CHU de Bordeaux, à l’hôpital Saint-André. La crise sanitaire, celle du coronavirus est à peine derrière, que l’autre crise a repris du poil de la bête. La moitié de l’effectif des urgences de l’hôpital Saint-André est en arrêt maladie. La régulation du centre 15 et du Samu évite Saint-André en ce moment, au profit des urgences de Pellegrin. Juin, pluie, post-Covid. Les applaudissements se sont tus.
Aujourd’hui, Régine, Aude, Simon, Mélanie (1) et tous les soignants de l’hôpital public sont dans la rue pour la manifestation nationale, cette période qu’ils qualifient désormais de «retour à l’anormal». C’est comment l’anormal ? «Brazil, Banzaï, je ne sais pas comment le qualifier, reprend Régine. Aux urgences de Saint-André, on a été cinq mois en grève l’année dernière. L’anormal était devenu chronique. Au bout de cinq mois, on a obtenu un poste de couloir H24. Ouf ! Puis le Covid est arrivé, on est tous revenus, au taquet, bons élèves. Aux urgences de Saint-André, on n’a pas eu de renfort, et à un moment donné la situation a été apocalyptique, les médecins ont alerté la direction. Certes, on avait moins d’urgences ordinaires, mais les Covid ou suspects nous prenaient le double de temps. On était en danger: on s’auto-remplaçait, on cumulait les heures sup’. Et à la fin, on est tombés malades.»
Sébastien Garrec, infirmier anesthésiste du syndicat SUD Santé appuie ce témoignage. «On a été reçu par la direction ce matin (NDLR, vendredi). Nous avons alerté sur le fait que 20 soignants de l’équipe d’urgence étaient en arrêt maladie. La réponse? «Cette équipe est difficile, revendicative». Ils n’ont pas entamé un mea-culpa sur leurs pratiques managériales. Bref, les soignants en arrêt maladie vont être convoqués et il leur sera proposé une nouvelle affectation. Voilà pour les remercier de leur engagement!»
«Le Ségur devrait entendre»
Le directeur général du CHU de Bordeaux Yann Bubien a traversé la situation sans ciller. Tous les jours, il tenait une cellule de crise avec l’ensemble des chefs de service et l’administration. Sans doute n’a-t-il dormi que d’un œil ces derniers mois. Aujourd’hui, il fait face à ce retour de bâton. Pourtant, «on a géré la crise de main de maître, l’hôpital public a été au rendez-vous, dit-il. Tout le monde était sur le pont, motivé, on a fait preuve de réactivité, d’adaptabilité, de solidarité. Et je suis très confiant dans le fait que le président ait placé dans son agenda politique deux points : la revalorisation des carrières et l’investissement dans les hôpitaux. Nous attendons les réponses du Ségur, mi-juillet. Alors, nous pourrons partir sur de nouvelles bases.» Un optimisme très peu partagé par les équipes soignantes sur le terrain. Qui craignent juste un effet d’annonce. « On nous demande toujours plus de sacrifices, dénonce Véronique Stevens, secrétaire de la CGT à l’hôpital de Bordeaux. Le Ségur ne va soutenir que les médecins, pas les autres. Or, l’hôpital a tenu grâce à tous. Les médecins, mais aussi les infirmiers, aides-soignants, les agents de nettoyage, les administratifs, les techniciens, les agents de la logistique… On a tenu sur les nerfs. Ce que l’on veut ? Des revalorisations salariales oui, mais aussi du matériel suffisant, des lits en plus, et pas des médailles ou des primes. On veut bosser!»
À force de chercher la rentabilité, l’hôpital aurait perdu un peu de son sens du service public ? Les soignants hochent la tête. « Et pas qu’un peu même, assure Simon, infirmier aux urgences de l’hôpital Saint-André. On a vécu avant le Covid, des années de mépris, de situations problématiques récurrentes. On a bossé avec des masques périmés au début. Le mot d’ordre d’avant Covid était restriction budgétaire. Économie. Sacrifice. Les deux ou trois mois de pandémie n’ont pas effacé ces pratiques. Mais là, on ne peut plus…»
Revaloriser les carrières
Stoïque face à la fronde, Yann Bubien attend du Ségur la revalorisation des carrières hospitalières. «On est au bout de la grille salariale, il faut les réadapter. L’infrastructure du CHU n’est plus à la hauteur du travail fourni. Il en va de la qualité de vie au travail.» Il rappelle aussi à quel point le Covid a agi à l’hôpital public comme un « accélérateur d’innovations ». Mais aujourd’hui, la situation, si elle semble calmée, n’est toujours pas réglée. « Nous sommes sur nos gardes, le virus circule à bas bruit, nous entrons dans une forme de chronicité. Nous veillons encore.» (1) les prénoms ont été changés.