Coronavirus
Sud-Ouest du 16 mai 2020
Sud-Ouest du 16 mai 2020
«Il fallait se préparer et on ne l’a pas fait»
Le pharmacologue bordelais Bernard Bégaud, habitué des rouages du système de santé publique, porte un œil critique sur la gestion de la crise
"« Sud Ouest » Dans votre livre, vous décrivez un système de santé engoncé et sous la coupe de l’industrie. La crise actuelle conforte-t-elle votre vision ?
Bernard Bégaud Hélas oui. En France, en santé publique, on est incapable d’imposer quoique ce soit aux entreprises. C’est presque philosophique. Cette crise en est la triste illustration. L’exemple le plus criant est la pénurie de médicaments. Certains services de réanimation ont manqué, par exemple, de curare. Nous sommes quelques-uns à réclamer depuis des années que soit établie une liste de médicaments et d’équipements vitaux pour lesquels les industriels seraient tenus de garder plusieurs mois de stock sur le territoire. Les Allemands le font. Ils imposent six mois de stock pour certains médicaments. Les entreprises n’ont pas le choix. Les enjeux sont d’abord sanitaires, mais aussi de souveraineté. Ce n’est pas rien d’être soudainement dépendant d’un pays comme la Chine pour la fourniture de matériel vital pour la nation.
Vous dites que le système de santé est amnésique… Pourtant il y a eu deux alertes majeures ces vingt dernières années dont une sur le Sras qui était lui aussi un coronavirus…
On est face à un problème français. On se dit: les leçons vont être tirées. Que dalle ! Rien ne dure. Après le Sras, il y a eu un sacré travail au niveau de la direction générale de la santé. Il y a eu des rapports, des plans. Les gens ont eu la pétoche. Des aides à la recherche distribuées aux industriels mais sans demande de contreparties. Et aucune politique volontariste sur le long terme. Alors, après l’effet d’emballement, tout le monde est passé à autre chose. Au point qu’au bout de quelques années, on a simplement détruit le stock de masques… On en est là.
La question des masques laisse la société pantoise…
On devait se préparer et on ne l’a pas fait. On le paie très cher. Maintenir un stock d’un milliard de masques cela ne coûte rien une fois qu’il est constitué. Avec cette crise atroce, on voit en vraie grandeur que ce qu’on nous a dit sur la supériorité du système de santé français était du vent. Les nondécisions avant la crise ont été aggravées par des curiosités de gestion. La parole publique a été stupéfiante. Raconter que les masques n’étaient utiles que pour les soignants était une aberration. Ils ont pris un risque considérable. S’ils l’ont fait de bonne foi, c’est inquiétant. S’ils l’ont fait pour justifier la pénurie, c’est grave."...