Coronavirus
Sud-Ouest du 2 avril 2020
Départs sur le front de l’Est
BILAN Les transferts de patients se poursuivent. Les soignants accomplissent le chemin inverse, du Sud vers le Nord
Jamais sans doute depuis le mitan du XXe siècle la médecine hospitalière française n’avait autant ressemblé à des manœuvres militaires. Depuis le 18 mars, on transfère en masse des patients en réanimation vers l’Ouest, le Sud-Ouest et le sud du pays, moins touchés (pour l’instant) par le Covid-19. 344 cas graves ont ainsi été évacués par train, par bateau (entre la Corse et le continent), par hélicoptère et par avion. On soulage ainsi des services hospitaliers qui craquent aux coutures dans la région Grand Est mais également en Île de France où on dénombrait hier 2 700 malades en réanimation.
Ce n’est pas suffisant. Il faut relayer les équipes épuisées par des semaines de combat. Les autorités de santé s’apprêtent à envoyer des médecins, des infirmiers et des internes – des jeunes en fin d’études de médecine – sur le front de l’Est et du Nord, là où la bataille contre le coronavirus est sans répit. « 320 soignants se préparent au départ», a indiqué, hier soir, Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé. Les malades descendent, les soignants montent. Du jamais vu.
Dès ce soir à Mulhouse
La Nouvelle-Aquitaine assure sa part. Selon l’Agence régionale de santé, une première équipe a pris la route dimanche pour venir en soutien des hôpitaux de Metz et Nancy. Fort de 18 soignants, un second groupe rejoint aujourd’hui le centre hospitalier et l’hôpital militaire de campagne de Mulhouse. Ce contingent – des médecins anesthésistes réanimateurs et des infirmiers anesthésistes – va travailler dans le Haut-Rhin durant quatre à dix jours. Les volontaires viennent de Pau et de Bayonne (64), de Talence, Arès, Arcachon et Libourne (33), d’Agen (47) et de Royan (17). Ces derniers jours, d’autres professionnels de santé sont allés renforcer, à titre individuel, l’effectif exsangue des hôpitaux du Grand Est.
Dans cette époque aussi tragique que singulière, on n’en est plus à une curiosité près. Mais il fallait être très fort pour deviner un tel déplacement à bord… du bus officiel des Girondins de Bordeaux. Le club l’a mis à disposition pour que le trajet n’excède pas une journée. Les trains sont aujourd’hui tellement rares que le ralliement par la route était l’option la plus praticable.
509 morts de plus
Ces transferts multiples des patients et de leurs soignants sont indispensables pour encaisser le choc. Hier, la France a encore battu le triste record du nombre de décès du Covid-19 en l’espace de 24 heures (à l’hôpital uniquement): 509, soit 4 032 au total depuis février.
Depuis trois jours, le nombre d’entrées en réanimation est stable. Il était de 432 hier. Mais celui des lits occupés enfle, car les malades du Covid-19 restent couramment deux semaines et plus en réanimation. Ils se comptaient plus de 6 000 hier soir.
Il y a encore quelques semaines, les capacités de réanimation étaient limitées à 5 000 places sur le sol national. On équipe et on équipe encore. L’État vise 14 000 lits, «un effort phénoménal» pour Olivier Véran, le ministre de la Santé, qui était auditionné hier par les députés. 4 000 lits de réanimation, dont 1 700 dédiés au Covid-19, restent disponibles à ce jour.
Si l’évolution de l’épidémie est bien documentée par les données hospitalières, elle reste encore imprécise dans les Ehpad qui hébergent la population la plus fragile. Des alertes sont lancées ici ou là, qui augurent un drame souterrain d’ampleur nationale. Dans le Doubs, un établissement mentionne 25 décès causés par le Covid19 parmi ses 80 pensionnaires. Jérôme Salomon, interrogé tous les soirs sur le thème, a promis qu’il rendrait publiques aujourd’hui les informations qui remontent aux autorités de santé. Les statistiques qui émanent de l’état-civil ne sont guère rassurantes. Dans la semaine du 16 au 21 mars, la mortalité en France s’avère 13 % supérieure à la normale…
Sud-Ouest du 2 avril 2020
Philippe planche sur le déconfinement
POLITIQUE Le Premier ministre l’a reconnu, la question de la levée du confinement est posée. Mais elle est complexe
Alors que le confinement a été prolongé jusqu’au 15 avril minimum, la question du déconfinement est désormais posée. Lors de son audition, hier soir, par la mission d’informations de l’Assemblée nationale, Édouard Philippe l’a reconnu: le sujet est ouvert. Et même sur la table. Toutefois, si le Premier ministre et les scientifiques qui l’épaulent travaillent bien sur plusieurs scénarios de sortie de crise, avec l’ambition de présenter leur stratégie dans les prochains jours, rien ne dit que cette mesure d’isolement, seul moyen de freiner la propagation du virus à ce stade, ne sera pas de nouveau prolongée. Le locataire de Matignon, qui a fait œuvre de pédagogie tout au long de cette soirée, s’est d’ailleurs bien gardé de laisser entrevoir une quelconque éclaircie à court terme.
Par paliers
Il n’empêche, si la situation est toujours très tendue sur le plan sanitaire, une ligne directrice est en train d’émerger pour préparer l’après. Et le retour à la normale. Mais alors que le confinement général a été décrété le 16 mars au soir par le chef de l’État, pour une entrée en vigueur dès le lendemain en début d’après-midi, cet ordre ne devrait pas être levé de manière aussi soudaine. Et spontanée. Mais plus certainement en s’étalant dans le temps. «Il est probable, a expliqué Édouard Philippe, que nous ne nous acheminions pas vers un déconfinement en une fois, partout et pour tout le monde.» En clair, le gouvernement réfléchit à un déconfinement progressif. Organisé et par paliers. En particulier pour éviter un possible effet rebond.
Concrètement plusieurs hypothèses sont à l’étude. D’abord, un déconfinement «régionalisé », lequel tiendrait compte de l’ampleur de la diffusion du virus sur le territoire et distinguerait donc les régions les plus touchées et des moins frappées par l’épidémie. Ensuite, le déconfinement pourrait aussi retenir «l’âge» comme critère. Ce qui laisse à penser que les plus fragiles, à commencer par les personnes âgées, seraient priés de rester confinés un peu plus longtemps.
De nombreuses inconnues
Une certitude, quelle que soit l’option retenue, le déconfinement supposera qu’un certain nombre d’inconnues soient levées. Et ces questions encore sans réponse précise ne sont pas minces. Disposera-t-on d’un traitement pour lutter contre le coronavirus? Serons-nous en mesure d’opérer un dépistage massif ? Dit autrement, auronsnous suffisamment de tests ? En particulier des tests sérologiques ?
Interrogé, hier soir, par les députés de la majorité et de l’opposition sur tous ces points, le Premier ministre a rappelé que nous sommes en train de passer de 5000 tests par jour à près de 20 000. Olivier Véran, le ministre de la Santé, ajoutant que l’État travaillait, en outre, à intégrer dans la boucle, les laboratoires vétérinaires et les laboratoires départementaux qui ont proposé leur aide il y a déjà plusieurs jours.
«Il n’y a pas de méthode»
Toutefois, au-delà des réflexions en cours et de la complexité du casse-tête, Édouard Philippe a également rappelé cette évidence : en la matière, il n’y a « aucun précédent». « On n’a jamais confiné autant et donc jamais déconfiné autant, a-t-il souligné. Il n’y a pas de méthode ». Et les choix à faire sont d’autant plus difficiles qu’il l’a rappelé : «Nous ne savons pas tout. Nos décisions sont souvent prises sur le fondement d’informations parfois incomplètes et contradictoires.»
«Il est toujours facile…»
Alors que le manque d’anticipation du gouvernement a été pointé du doigt, le Premier ministre a aussi délivré quelques réponses à ses détracteurs. «Il est toujours plus facile d’apprécier l’opportunité des décisions, une fois qu’on sait ce qui s’est passé», a-t-il précisé.
Reste que si le manque de masques, de tests, de blouses, de respirateurs artificiels et maintenant de certains médicaments, en particulier pour les services de réanimation n’a pas fini de nourrir les travaux de cette mission d’information, Édouard Philippe l’a rappelé : «Nous vivons une situation unique. Jamais près de la moitié de l’humanité n’a été confinée. Jamais les économies n’ont été interrompues aussi brutalement. Aucun système de santé au monde n’a été pensé et conçu pour faire face à une vague de cette ampleur.»
Sud-Ouest du 2 avril 2020
Région : des masques qui s’arrachent
NOUVELLE-AQUITAINE Le ton est monté entre État et élus locaux à propos d’un stock de masques mais le problème semble résolu
Le vinaigre n’est pas efficace pour éliminer le coronavirus mais il a manqué imprégner les relations entre l’État d’une part, la Région Nouvelle-Aquitaine, les douze départements qui la composent, la métropole de Bordeaux et l’agglomération de Pau d’autre part. En cause, les masques, toujours les masques…
Sous la houlette de la Région, ces quinze collectivités ont en effet mis la main au portefeuille pour un achat groupé de 2, 66 millions de masques chirurgicaux et de 260 000 masques FFP2. Soit une dépense de 1,56 million d’euros passée auprès d’un intermédiaire basé à Saint-Médard-en-Jalles, en Gironde.
Il va de soi que cet achat de masques était destiné au secteur hospitalier, sanitaire et social. Mais les collectivités néo-aquitaines ont eu la mauvaise surprise d’apprendre que l’État voulait récupérer environ 80% de ce lot de masques pour les distribuer, via l’Agence Régionale de Santé, aux hôpitaux de la région dont on connaît le besoin urgent de protections.
Un emprunt…
Une décision venue d’en haut qui a braqué les chantres de la décentralisation que sont Alain Rousset et Dominique Bussereau avec sa double casquette de président de la Charente-Maritime et des départements de France. La préfète de région Fabienne Buccio aurait assuré qu’il ne s’agissait que d’un emprunt, le temps que les masques commandés directement par l’État parviennent en Nouvelle-Aquitaine. Ce n’était donc qu’une question de jours mais les élus locaux ont appris, depuis de nombreuses années, à se méfier de la parole de l’État.
«Un protocole d’accord»
Il semble qu’après quelques échanges sans aménité, l’adrénaline soit redescendue. Interrogé par téléphone, Alain Rousset a choisi un ton pacificateur en assurant que «le problème était en train d’atterrir. On va s’entendre avec les directions territoriales de l’ARS.» Et Fabienne Buccio, au cours de son audioconférence de presse quotidienne, a assuré « qu’il n’y avait aucune inquiétude à avoir », évoquant un protocole d’accord entre l’État et les collectivités sur la répartition des masques.
«Ce jeudi, la préfète et l’ARS participeront à la visioconférence qui se déroule deux fois par semaine entre Alain Rousset et les présidents de départements et cela permettra de mettre les choses à plat entre nous » confie Dominique Bussereau. « Mais les départements ont eux aussi besoin de masques pour les agents qui effectuent des missions sanitaires et sociales, notamment auprès des personnes âgées, un public qu’on ne peut pas mettre en danger» ajoute l’élu de CharenteMaritime.
S’il estime que la guerre au virus doit mobiliser toutes les énergies actuelles, Alain Rousset ne manquera pas, après l’épidémie, de rappeler que celle-ci révèle un peu plus la nécessité de décentraliser, notamment dans le secteur industriel et sanitaire.
Sud-Ouest du 2 avril 2020
L’engagement d' Émilie
LACANAU/BLAYE Émilie Rodot-Mercier, médecin-urgentiste et mère de famille, 43 ans, témoigne de son quotidien
Émilie Rodot-Mercier : « Je dois dire que je ne connais aucun collègue pour qui ce n’est pas une évidence d’être au front ». PHOTO O. R.-M.
Du jour au lendemain, avec l’épidémie du Covid-19, Émilie Rodot-Mercier, 43 ans, médecin urgentiste au Centre hospitalier de la Haute Gironde, situé à Blaye, a vu son quotidien basculer dans une autre dimension. Celui d’un roman de science-fiction. Mère de famille de trois enfants, tous âgés de moins de 10ans, deux filles et un garçon, Émilie, qui vit à Lacanau avec son époux Olivier, part travailler avec la boule au ventre.
Face à la crise sanitaire qui touche aujourd’hui toute la planète, l’urgentiste fait partie de ceux qui se retrouvent en première ligne.
«À la maison, c’est le stress complet de contaminer sa famille. Beaucoup de mes collègues ont pris la décision de vivre séparés le temps de cette crise. Lorsque je rentre de l’hôpital, je vis dans un studio que nous avons dans une aile de notre habitation. Je ne quitte pas mon masque et je n’embrasse plus mes enfants. C’est un déchirement.»
Des coups de colère
En plus de cette inquiétude pour ses proches et celle de tomber malade, l’urgentiste confie ses coups de colère. « C’est le dépit, le désespoir lorsque je fais une sortie dans la grande surface de ma commune pour faire des courses. Il m’est arrivé de croiser une personne âgée avec trois citrons à la sortie. Je me suis permise de lui dire que ce n’était pas très raisonnable. Il m’a répondu qu’il n’avait pas de leçon à recevoir de quelqu’un de plus jeune que lui. Je me suis énervée en lui expliquant que je n’aurais peut-être pas le matériel nécessaire pour le sauver si jamais il venait à tomber malade.» L’urgentiste de poursuivre : « Tout le monde n’a pas pris conscience. C’est ce qui est dur à supporter lorsque nous nous retrouvons face aux malades. J’estime que le confinement n’est pas assez sévère en France et qu’il faudrait aussi davantage de messages de prévention avec des vidéos pour que la population mesure vraiment le niveau de risque ».
Son engagement de médecin
Lorsqu’on l’interroge sur son engagement de médecin et cette possibilité d’être infectée par le virus, l’urgentiste se veut claire : «Je n’ai pas vraiment réfléchi à cela. Mais la question ne se pose même pas pour moi. Il est hors de question que je ne sois pas présente dans mon service pour prendre en charge ces patients. Et je dois dire que je ne connais aucun collègue pour qui ce n’est pas une évidence d’être au front. On a même envie de dire à ceux qui ont plus de 60ans de ne plus venir. Mais ils refuseraient. C’est certain ». Enfin, l’urgentiste pense à ses parents. «Ils vivent dans une autre région. Le plus difficile, c’est de se dire qu’ils pourraient leur arriver quelque chose. Ils font partie de cette frange de population qui est plus exposée à ce virus. Dans cette situation, ne pas être à proximité d’eux, c’est aussi très compliqué à vivre.»
Au rythme des gardes qu’elle enchaîne avec ses collègues, Émilie Rodot-Mercier fait face et tente de préserver au mieux l’équilibre de sa vie de famille en prenant toutes les précautions nécessaires. « Je n’ai qu’un message à faire passer. Si vous voulez respecter et aider les équipes qui travaillent dans les hôpitaux et tous ceux qui prennent en charge des malades sur le terrain, il faut prendre au sérieux le confinement. Aujourd’hui, il n’y a pas d’autre solution pour s’en sortir.»