Coronavirus
Sud-Ouest du 28 mars 2020
Confinés jusqu’au 15 avril
COVID-19 La prolongation de 15 jours du confinement annoncée hier par le Premier ministre n’a surpris personne et n’est qu’une étape « si la situation l’exige »
«Nous nous installons dans une crise qui dure et une situation sanitaire qui ne va pas s’améliorer rapidement. Il va falloir tenir.» Dès hier matin, depuis le ministère de l’Intérieur, Édouard Philippe avait annoncé en pointillés l’allongement de la réclusion exceptionnelle des Français. Quelques heures après, depuis l’Élysée, après avoir vu Emmanuel Macron, le Premier ministre a rempli le trait au stylo rouge, indiquant qu’elle serait prolongée de quinze jours.
«Nous sommes encore au début de la vague épidémique. C’est pourquoi, avec l’accord du président de la République, j’annonce le renouvellement du confinement pour deux semaines supplémentaires à compter de mardi prochain, soit jusqu’au mercredi 15avril.» Édouard Philippe a précisé que les règles restaient les mêmes et que «la période pourra évidemment être prolongée si la situation sanitaire l’exige », sachant que le Conseil scientifique a déjà demandé un confinement de six semaines.
«La vague arrive»
Autant dire que le 15 avril n’a rien d’une date-butoir, et même si le gouvernement procède par étapes, les chances d’échapper à un avril confiné sont maigres. La «vague épidémique » qui submerge le Grand Est et met à mal les capacités hospitalières des Hauts-de-France et d’Île de France «est très élevée», prévient Édouard Philippe. Son pic n’étant pas attendu avant plusieurs jours, toutes les régions jusqu’ici moins touchées ne perdent hélas rien pour attendre.
Hier, le chef du gouvernement s’est borné à rendre hommage à toutes les catégories de Français qui combattent le coronavirus. Les personnels de santé, bien sûr, mais aussi tous les métiers qui permettent à l’économie de tourner encore à 65% de ses capacités. Et l’ensemble des fonctionnaires dont il souligne « la mobilisation», avec mention particulière pour les enseignants, dont l’épiderme a pu être écorché par une déclaration maladroite – et vite corrigée – a la porte-parole du gouvernement (lire aussi en page3).
Quelle stratégie?
Mais aujourd’hui, Édouard Philippe et son ministre de la Santé, Olivier Véran, vont aborder en détail et «en transparence» les sujets chauds. Où en est-on sur la fourniture de masques aux catégories exposées mais aussi au reste des Français ? Où en est la recherche sur les traitements? Quelle stratégie la France déploie-telle sur les tests qui ont manqué jusqu’ici et dont l’utilisation massive par certains pays (Corée du Sud, Allemagne…) permet de limiter l’épidémie?
Le gouvernement va aussi préciser son plan pour continuer à répartir dans les régions moins touchées – par avions sanitaires ou TGV médicalisés – les malades sous assistance respiratoire. Le chef des urgences de l’hôpital parisien Pompidou milite pour un transfert « massif» de ces patients : Philippe Juvin, par ailleurs maire LR de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine), s’est déjà signalé par ses critiques sur la pénurie de masques et de tests.
Des Français anxieux
Mais l’état-major de la droite relaie ces critiques: le patron des députés LR Damien Abad regrette «le peu de réponses concrètes » du président de la République lors de son discours de Mulhouse, mercredi soir.
Conscient de la fragilité de l’unité nationale qui doit absolument prévaloir dans la phase aigüe de la crise, le gouvernement surveille aussi le front syndical où le patron de la CGT Philippe Martinez a haussé la voix, hier, en disant son «impression que l’économie prime sur la santé».
Autre paramètre et non des moindres : la montée de l’anxiété chez les Français alors qu’a été annoncée la mort d’une jeune fille de 16ans à l’hôpital Necker à Paris (lire en page7). Si l’on en croit l’Ifop, 87% des sondés redoutent que l’économie s’effondre, 81 % de perdre des proches, 62% de perdre la vie et 57% de perdre une partie de leurs revenus. Ils savent aussi que le non-respect du confinement sera de moins en moins toléré (lire ci-contre)
Sud-Ouest du 28 mars 2020
L’épidémie s’aggrave encore
BILAN Durant les dernières 24 heures, 299 personnes supplémentaires sont décédées du Coronavirus en France
Hier, au service de réanimation de l’hôpital nord de Marseille. PHOTO GEORGES ROBERT/PQR
Les points presse quotidiens du directeur général de la Santé Jérôme Salomon ne laissent hélas pas entrevoir d’amélioration de la situation sanitaire. Hier soir, le bilan détaillé par le haut fonctionnaire confirmait l’installation de l’Europe dans son statut d’épicentre de l’épidémie, avec plus de 300000 cas et plus de 17000 morts. Malgré des chiffres encourageants ces derniers jours, l’Italie a encore essuyé hier l’une des pires journées de l’épidémie avec près de 1000 décès en 24 heures, et déplore désormais 9 134 décès dus au Coronavirus (lire par ailleurs).
31% des tests sont positifs
Pour sa part, la France a recensé, en 24 heures, 299 personnes décédées à cause du virus. Notre pays totalise désormais 1 995 morts en hôpital. 85 % des personnes décédées ont plus de 70 ans, a précisé Jérôme Salomon.
Le nombre de personnes testées positives s’élève à 32 964. Parmi elles, 15 732 personnes sont hospitalisées, et 3 787 se trouvent en réanimation dans un état grave. Un tiers de ces malades gravement atteints ont moins de 60 ans, et 42 personnes ont moins de 30 ans. Jérôme Salomon a par ailleurs confirmé des remontés de médecins faisant état d’arrivées de plus en plus tardives de patients à l’hôpital dans un état déjà dégradé et qui ont vraisemblablement trop attendu après la survenue de symptômes de détresse respiratoire.
Hier, 3 788 passages aux urgences ont été comptabilisées pour une suspicion de Coronavirus. Ou encore 1 384 interventions de SOS médecins. Depuis le 9 mars, 31 % des tests réalisés étaient positifs. « Ce qui confirme que le virus circule activement dans la population», a précisé Jérôme Salomon.
Seule bonne nouvelle dans ce macabre décompte, 5700 personnes ont déjà quitté guéries l’hôpital.
Plusieurs régions sont actuellement sous tension, notamment le Grand Est, et, depuis quelques jours, l’Ile-de-France. « L’Île-de-France n’est pas saturée » a tenu à rappeler le directeur général de la Santé, précisant que les hôpitaux avaient pu armer de nouveaux lits ces dernières heures, mais évoquant néanmoins «une situation d’anticipation» (lire ci-contre)
Évacuations de malades
Une importante opération de réorientation des malades graves vers des régions moins touchées est en marche afin de désengorger certains hôpitaux. Hier, six malades issus du Grand Est ont été transportés par avion vers le CHU de Bordeaux et l’hôpital militaire Robert Piquet à Bordeaux. Cette stratégie devrait continuer à se déployer dans les prochaines heures avec l’arrivée de nouveau malades de l’Est de la France en Nouvelle Aquitaine (lire par ailleurs). Certains patients du Grand Est devraient également être transportés vers l’Allemagne.
Par ailleurs une quinzaine de patients d’Île-de-France devraient être transportés par voie terrestre vers la région Centre. Et des patients de Bourgogne vont également être évacués vers la région Rhône Alpe.
Après dix jours de confinement, il faudra encore attendre quelques jours pour en mesurer les effets, a indiqué le DGS, compte tenu de la durée moyenne d’incubation de la maladie et de l’apparition des symptômes. Le DGS estime par ailleurs que le comptage du nombre de décès est à ce stade « inadapté » au suivi de l’épidémie en temps réel compte tenu notamment du temps écoulé entre la contamination et la survenue du décès.
Le ministère a par ailleurs annoncé le développement d’une surveillance et d’un comptage susceptible de mesurer plus largement l’étendue de l’épidémie au-delà du décompte des cas testés positifs ou des hospitalisations.
« La lutte contre le Coronavirus passe également par une information aux citoyennes et citoyens » a déclaré Jérôme Salomon assurant un «libre accès aux données relatives à l’épidémie» afin «d’assurer la confiance des citoyens dans les éléments qui leur sont communiqués » et de « favoriser l’action de prévention contre la propagation du virus ». « Un tableau de bord en ligne sera publié dans les prochaines heures sur le site du gouvernement permettant à chaque personne de suivre dans le temps l’évolution de la situation épidémiologique.» Ce tableau devrait consolider des données au niveau départemental.
Sud-Ouest du 28 mars 2020
Le gouvernement tente d’accélèrer l’importation de masques
Le pic de l’épidémie approche. La problèmatique concernant les équipements de sécurité, dont les masques, a imposé une réponse du gouvernement : on ouvre les vannes, et vite
Pour faire face au manque de masques en ce début de crise sanitaire, la France a dû s’adapter, bricoler aussi, parfois, en réquisitionnant tous azimuts les stocks des entreprises, en lançant en urgence de vastes commandes à des prestataires, en enjoignant les industriels de réorienter leur activité vers une production partie depuis trop longtemps en Asie.
Alors que le pic de la vague de l’épidémie du Covid-19 se profile à grands pas, la situation bouge– mais beaucoup trop lentement.
La preuve ? La Direction générale de la Santé vient d’annoncer à la Fédération des pharmaciens d’officine une livraison de 8 millions de masques, « probablement» en milieu de semaine prochaine. La distribution aux médecins sera très contingentée, elle se limite à 18 masques par praticien et par semaine, dont six FFP2, les plus efficaces… Idem pour les infirmiers libéraux, ou les biologistes de laboratoires. Les sages-femmes n’en auront que six par semaine.
Des masques CE… ou non
Pour corriger cela, le gouvernement a donc décidé d’adapter le contrôle de la conformité aux normes de ces équipements au contexte de crise sanitaire. De fait, les masques au marquage CE peuvent désormais être librement importés. Et même les autres, dans certaines circonstances.
L’administration des douanes a mis en place les mesures nécessaires pour faciliter le passage de masques en douane. « Pour ceux qui ne sont pas marqués CE mais qui sont destinés à Santé Publique France ou aux professionnels de santé », détaille Serge Puccetti, directeur interrégional des douanes en Nouvelle-Aquitaine. « nous ne retenons pas une seconde les importations, puisque Santé Publique France a ses propres moyens de tests ».
Assouplissement des normes
Une circulaire des ministères de l’Économie et des Finances, du Travail, et de l’Action et des Comptes publics autorise jusqu’au 31 mai 2020 l’importation et l’usage en France de masques chirurgicaux aux normes américaines et chinoises.
«En effet, précise le directeur interrégional des Douanes, si les masques ne sont pas CE, mais ont des équivalences de normes reconnues, à savoir celles des USA et de la Chine, nous faisons entrer librement les produits.»
C’est aussi le cas pour les masques de protection respiratoire, « bec de canard », FFP1, FFP2, FFP3. «Uniquement s’ils correspondent aux normes américaines, chinoises, australiennes, néo-zélandaises, coréennes et japonaises », assure Serge Puccetti, qui souligne « On peut être amené à voir passer des masques qui disposent d’autres normes. Dans ce cas nous traiterons les importations au cas par cas, à l’issue de tests rapides réalisés dans les labos des douanes.»
Et pour les particuliers ? « Pour les particuliers si les masques sont CE, ils passent, sans délai, mais s’ils ne sont pas CE, ils ne passent pas, c’est tout simple.»
Pour assurer la mise en œuvre rapide de ces simplifications, les importateurs sont invités à réunir, sans attendre les commandes, les éléments qui permettent de justifier les normes des produits qu’ils importent et à les inclure dans les dossiers de dédouanement. «C’est facile est gratuit» assure Serge Puccetti.
Dédouanés et détaxés
« Nous accélérons toutes les procédures, celles qui concernent les masques, mais aussi pour tout ce qui pourrait être nécessaire pour faire face à cette crise sanitaire. Il est important de savoir que tous ces équipements sont disponibles en franchise. Cela veut dire qu’ils ne sont soumis à aucun droit de douane, ni TVA.»
Si les freins se desserrent à l’importation, certaines entreprises assurent que les livraisons sont ralenties aux frontières. «Cela ne relève pas des Douanes, mais des difficultés de livraisons », assure le directeur interrégional des Douanes. La livraison, c’est l’autre problème des masques. La course contre la montre ne fait que commencer.
Sud-Ouest du 28 mars 2020
En Espagne, l’épidémie s’emballe
COVID-19 Le pays, confiné depuis quinze jours, espère voir bientôt les effets de ses efforts. Mais à Madrid, principal foyer de contagion, les hôpitaux débordent et le matériel commence à manquer
La première quinzaine de confinement va-t-elle faire effet ? La courbe des contagions va-t-elle enfin fléchir ? Les prochains jours pourraient être cruciaux pour l’Espagne, soumise à un strict cantonnement à domicile depuis la déclaration de l’état d’alerte, le 15 mars dernier. Mais du côté du ministère de la Santé, le responsable des urgences sanitaires, Fernando Simon, qui chaque jour décortique les chiffres, reste prudent. « On a la sensation que nous nous approchons du pic tant désiré [...]Mais il reste beaucoup à faire », insiste-t-il en veillant à instiller une petite dose quotidienne d’optimisme.
Et c’est difficile car les dernières nouvelles indiquent que l’Espagne marche à vive allure sur les traces de l’Italie. Les chiffres s’emballent. Avec 64 059 contagions en date hier, le Covid-19 avait déjà fait 4 858morts dans le pays, soit 769 victimes de plus en 24heures.
Des soignants débordés
À Madrid, principal foyer de contagion, le réseau hospitalier est débordé, et médecins comme infirmiers alertent du manque de matériel de protection. Ils décrivent les masques réutilisés, les surblouses bricolées avec des sacs-poubelles, les imperméables de bazars chinois qui font office de combinaisons et se déchirent au moindre mouvement, alors que les contagions ne cessent d’augmenter parmi les soignants. « C’est comme si nous étions en guerre, nous avons poussé des lits partout, dans les couloirs, dans la salle d’attente, dans le gymnase de rééducation, et l’accueil se fait sous une tente installée à l’extérieur», raconte Guillen del Barrio, infirmier aux urgences de La Paz, l’un des plus gros hôpitaux de la capitale.
Pour prêter main-forte, l’armée a commencé à déployer, dans les pavillons du parc des expositions de Madrid, un vaste hôpital de campagne qui pourra accueillir progressivement jusqu’à 5500 lits. Une patinoire a été réquisitionnée pour faire office de morgue provisoire en appui aux services funéraires municipaux débordés. À Barcelone aussi, le gouvernement catalan a commencé à étendre la capacité des hôpitaux en montant des extensions dans des hôtels ou gymnases avoisinants, pour disposer de jusqu’à 1 300 lits supplémentaires.
«Aucun système de santé ne peut supporter une crise de cette ampleur», affirme-t-on au gouvernement face aux accusations d’imprévision. Pendant que le ministère de la Santé cherche à toute force à acquérir des stocks de kits de tests rapides en Asie, des entreprises de tous les secteurs de l’industrie se mobilisent ensemble pour produire au plus vite des respirateurs pour les unités de soins intensifs.
Population vieillissante
Nul ne s’explique clairement la rapidité de l’expansion du virus en Espagne et l’impressionnant nombre de morts. Les hypothèses diverses mettent en avant le manque de dépistage pour détecter les porteurs sains, une population vieillissante et fragile dans un pays où l’espérance de vie (83,4ans) est la plus élevée du monde avec le Japon, la force des liens intergénérationnels et un système hospitalier qui avait souffert de fortes coupes budgétaires pendant la crise économique.
Méthodes de comptage
Mais certains soulignent aussi, de plus en plus nettement, les différences de comptages entre les pays. Si la France, par exemple, ne donne que les chiffres des décès « en milieu hospitalier», l’Espagne prend également en compte ceux qui ont lieu dans les maisons de retraites. C’est sans doute l’un des facteurs de distorsion qui pourrait expliquer l’écart des deux pays. Une enquête diffusée il y a quelques jours sur la radio Cadena Ser signalait justement qu’un tiers des décès enregistrés depuis le début de l’épidémie s’est produit dans les maisons de retraites.
Sud-Ouest du 28 mars 2020
Triste record du nombre de morts en Italie
BILAN Près de 1 000 morts en 24 heures, un bilan qu’aucun pays n’avait encore atteint
En Italie, le nombre total de décès s’élevait, hier soir, à 9 134, en hausse de 969 par rapport à jeudi. La contagion continue cependant de ralentir, avec une hausse de 7,4% du total des cas positifs (86 498), le plus faible taux depuis le début de la pandémie en Italie il y a plus d’un mois. La région la plus touchée reste la Lombardie avec plus de la moitié des décès enregistrée en Italie (5 402 morts pour 37cas) , suivie par l’Émilie-Romagne ( 1 267 morts pour 11 588 cas ) . Jusqu’ici plus épargné, le sud voit augmenter le nombre de cas avec une inquiétude marquée pour la Campanie (Naples).
«Cette pandémie sans précédent frappe les pays les plus forts au monde et qui adoptent progressivement les mesures que l’Italie a déployées depuis un certain temps », a déclaré Domenico Arcuri, le commissaire du gouvernement chargé de la crise coronavirus.
Dans le monde, la pandémie avait ainsi tué 26 621 personnes, hier après-midi. La majorité des décès étant recensée en nette majorité en Europe (17 314). Avec 8 165 morts, l’Italie est le pays le plus touché devant l’Espagne (4 858) et la Chine (3 292), foyer initial de la contagion. Au moins, 572 040 cas d’infection ont été officiellement diagnostiqués sur la planète depuis fin décembre.
Le virus progresse en Afrique
Partout en Afrique, le virus a continué hier de progresser à vitesse inquiétante avec plus de 3 800 cas et au moins 114 décès. Enfin, les États-Unis et la Chine ont choisi de maintenir le dialogue malgré leur rivalité. «Nos deux pays doivent s’unir contre l’épidémie», a souligné le président Xi Jinping lors d’une conversation téléphonique avec le président américain Donald Trump. « La Chine est disposée à poursuivre sans réserve son partage d’informations et d’expériences avec les États-Unis.»