Coronavirus
Sud-Ouest du 18 mars 2020
«En attendant la vague, on se prépare»
GIRONDE Le CHU de Bordeaux, tout comme l’Agence régionale de santé, anticipe la flambée épidémique. Reportage
Le professeur Denis Malvy (centre), chef du service infectiologie du CHU de Bordeaux, le directeur Yann Bubien (gauche) et le professeur Combes, patron du Samu. PHOTO LAURENT THEILLET/« SUD OUEST »
Ils sont tous là, en ordre de marche. Ils sont les soldats de cette «guerre», ceux qui montent au front. Trois mois exactement, qu’ils ont entamé une bataille contre «l’ennemi invisible», ce nouveau virus qui s’attaque aux voies respiratoires. « Il y aura des larmes, des pleurs et il faudra accompagner», a lâché hier, le professeur Denis Malvy, infectiologue et chef du service des maladies émergentes au CHU de Bordeaux. À ses côtés, les professeurs Xavier Combes et Matthieu Biais, l’un chef du Samu, l’autre, du pôle anesthésie-réanimation sont graves.
Aujourd’hui, le professeur Malvy porte un masque. Il tousse : « Je suis symptomatique, et comme je travaille auprès de patients souffrant du Covid-19, me voilà potentiellement porteur. J’ai été testé, j’attends mes résultats.» Ainsi va la vie des soignants en première ligne. À l’hôpital, comme ailleurs, les règles d’usage sont désormais entrées dans les mœurs : on se parle à plus d’un mètre de distance, on se tartine les mains de gel hydroalcoolique et on porte un masque le cas échéant. La région NouvelleAquitaine est aujourd’hui la moins impactée par l’épidémie en France. L’impeccable Yann Bubien, directeur général du CHU, l’annonce sans fierté déplacée. C’est un fait. Pourquoi, comment, on verra plus tard, «la vague arrive et nous avons la chance de la voir approcher, ce qui nous permet d’organiser l’accueil des futurs patients. Ce qui compte aujourd’hui c’est d’être prêts pour l’afflux de malades ».
Quatre patients en réanimation
Ici, l’annonce du niveau 3 n’a pas modifié les comportements. La cellule de crise travaille depuis le début du mois de janvier et, depuis le 25 février, une unité de dépistage ambulatoire a été constituée qui, déjà, teste 200 personnes par jour possiblement touchées par le coronavirus. Xavier Combes, patron du centre 15 observe l’affolement de ses chiffres : «Nous, on a doublé, 2 500 appels par jour : toute l’inquiétude et l’angoisse du public. On réorganise sur le plan technique, humain pour répondre. On a beau répéter qu’il ne faut pas appeler le centre 15, sauf en cas d’urgence… Le message a du mal à passer.»
Le service de réanimation ne subit pas la même pression de saturation que dans le Grand Est ou dans la région parisienne. Le professeur Matthieu Biais et le docteur Didier Gruson, chef de la réa médicale, signalent que quatre patients Covid-19 sont actuellement en réanimation intensive. «Sur les 300 lits de réanimation que nous avons au CHU de Bordeaux, il en reste aujourd’hui une vingtaine de disponibles. L’avantage que nous avons c’est de voir venir, commente Didier Gruson. On a la chance de bénéficier de l’expérience clinique des hôpitaux de Paris, de Strasbourg qui ont tellement plus de patients que nous. Aujourd’hui, on sait à quoi s’attendre, les symptômes, l’évolution de la maladie. On sait l’aggravation brutale… Tout ça, nous permet, en amont, de préparer le mode opératoire, sans panique ni précipitation.»
Le médecin estime pour chaque patient en réanimation et allant vers la guérison, une hospitalisation d’au moins un mois. «On avait pris de l’avance» Derrière son masque, le professeur Malvy sourit. Il raconte que ce matin, très tôt à Bordeaux, à peine quelques heures après l’annonce de ce confinement qui n’a pas dit son nom, «les gens attendaient devant les boulangeries, en respectant scrupuleusement la consigne de distanciation sociale. Et ça m’a beaucoup rassuré, car cette guerre annoncée est une épreuve sociétale avec des enjeux de solidarité. Nous, on soigne, mais les gens dehors, ils peuvent freiner l’épidémie. Tout le monde a un rôle à jouer.»
Il parle d’épargner le système de santé français, que la Nouvelle-Aquitaine a pu bénéficier « d’un scénario de vigilance et qu’il faudrait que la région reste l’exception ». En clair, qu’elle résiste encore. « Le modèle que nous avons construit au CHU de Bordeaux nous a permis aussi de prendre de l’avance, a-t-il rappelé. Depuis cinq ans, nous travaillons à anticiper ce type de crise. Cent-cinquante personnes du CHU sont formées, entraînées à l’astreinte du risque épidémique et biologique.»
Des masques H1N1
Aux urgences de Pellegrin, ce début de semaine, une tente a été dressée à l’extérieur, devant l’entrée. Encore un outil innovant qui s’adapte à cette crise sanitaire majeure, en l’occurrence un poste médical avancé qui, depuis hier, permet aux individus suspectés d’être porteurs du Covid-19, de ne pas croiser d’autres patients des urgences. Éviter la contamination. Petit à petit, tous les outils sortent de terre, les équipes encadrantes, dirigeantes ont le temps de mettre en place un système vertueux.
Et si les masques viennent à manquer, l’Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine s’engage à répondre: «Nous avons, via la cellule de crise de l’ARS, la Cellule régionale d’appui et de pilotage sanitaire (Craps, NDLR), rassemblé le stock de masques H1N1, dont la date de péremption est dépassée, mais qui s’avèrent totalement opérationnels, a stipulé, le directeur général de l’ARS, Michel Laforcade. Et nous allons les distribuer pour 60 % aux hôpitaux et médecins libéraux et pour 40 % aux Ehpad et établissements médico-sociaux et services d’aide à domicile.» Les lits de réanimation disponibles de la Nouvelle-Aquitaine sont également prêts à accueillir les patients malades du coronavirus, venus des régions hautement impactées. La solidarité n’est pas seulement un concept.
Au CHU, les équipes attendent la vague, tels les surfeurs à cheval sur leur planche, ils ont le regard tendu vers l’horizon. Aux aguets.