Grève des sapeurs-pompiers
Marianne du 7 août 2019
Entraves à la grève des pompiers : "Il y a une volonté d’étouffer notre parole"
Les pompiers sont en grève depuis le 26 juin. Tous les services départementaux n'acceptent pas leurs actions. - PHOTOPQR/LE REPUBLICAIN LORRAIN/MAXPP
Les pompiers sont en grève depuis le 26 juin. Dans un souci de continuité du service public, leurs moyens d’action se restreignent à des slogans sur les camions et à un brassard annoté "gréviste". Mais certains officiers ont reçu l’ordre d’effacer les messages et de ne plus porter ledit brassard, au risque de recevoir des blâmes. Récit.
Les sanctions prévues à l'égard des pompiers qui arborent un brassard annoté "gréviste" sont suspendues. L'information, confirmée par le Sdis auprès de Marianne ce mercredi 14 août, a été communiquée aux officiers concernés par la voie d'un communiqué signé par le président du conseil d'administration des Sdis du Val d'Ois le mercredi 7 août.
"Suspendre, cela signifie quoi ?", s'interroge Peter Gurruchaga, secrétraire général de la CGT du Sdis Val d'Oise, qu'à moitié soulagé. Avant d'ajouter, "en réalité on reste avec une épée de Damoclès au dessus de nos têtes". Par ailleurs, le port du brassard est désormais autorisé par la direction du Sdis Val d'Oise, mais avec des modalités. Seuls les personnels déclarés grévistes mais désignés par arrêté préfectoral dans un souci de continuité de service public, ont le droit de porter le fameux brassard.
Pour des raisons économiques, les pompiers s'autorisent à faire grève une heure ou deux dans la semaine. C'est seulement pendant ces moments, et s'ils sont réquisitionnés, qu'ils sont autorisés à porter le brassard. "Les personnes qui veulent porter le brassard le font et ce, sans discontinuer", conclut Peter Gurruchaga.
Lancé depuis fin juin, le mouvement de colère des pompiers semble s'essouffler par endroit. La faute à certains services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) qui restreignent peu à peu les actions des grévistes, et notamment le port du brassard, seul signe distinctif pour eux. Depuis près d’un mois, ils protestent entre autres contre un manque de moyens prégnant face à la hausse de leur charge de travail. Des revendications dont Marianne s’était fait écho au début du mois de juillet.
"Le brassard, c’est notre seul moyen d’expression et on essaie de nous l’enlever", abonde Peter Gurruchaga, secrétaire général de la CGT du Sdis Val d'Oise. En grève depuis le 26 juin, à l’appel de sept syndicats représentants 85% des effectifs, les pompiers du Val d’Oise, comme la plupart de leurs collègues dans les autres départements, ne cessent pas de travailler pendant leur mouvement de contestation. "C’est le fait que nous soyons en permanence en effectif réduit qui nous empêche de cesser le travail, explique le syndicaliste. Nous sommes réquisitionnés. De fait nous ne pouvons pas mener de grève classique". Comme les urgentistes, ils se doivent d’assurer un service minimum, au nom de la continuité du service public. Ils réduisent donc leurs moyens d’action à des banderoles placardées devant leur caserne, des slogans peints sur leurs véhicules de service ou enfilent un brassard annoté du mot "gréviste", pendant leurs heures de labeur. Des méthodes qui déplaisent parfois aux administrations locales de nos soldats du feu. Certaines ont pris des mesures pour affaiblir la contestation. Depuis mi-juillet, dans le Val d'Oise, des sapeurs-pompiers sont ainsi visés par des procédures disciplinaires "pour refus d’obéissance". Leur transgression ? "Ce n’est pas d’avoir porté un brassard de gréviste, explique le syndicaliste, c’est d’avoir refusé d’obéir suite aux ordres des supérieurs qui leur demandaient de le retirer".
PROCÉDURE DISCIPLINAIRE
Au total, vingt-et-un pompiers du département ont reçu une convocation par mail en vue d’un blâme, deux autres ("tous deux représentants syndicaux"), en vue d’une exclusion d’un jour. Les pompiers du département assurent pourtant auprès de Marianne être en grève depuis le mois de décembre. "Nous sommes sous le choc, cela fait des mois que nous arborons ces brassards, on ne nous a jamais sommés de les enlever auparavant", raconte le pompier. Désormais, au ressenti général de ne pas être entendu par la hiérarchie, s’ajoute un sentiment de colère et beaucoup d’incompréhension. "Il y a une volonté d’étouffer notre parole", s’insurge Peter Gurruchaga. Dans le département, quelque 150 grévistes sont comptabilisés sur les 1000 professionnels en poste. Une faible mobilisation que Peter Gurruchaga explique par cette politique de sanction.
DEVOIR DE NEUTRALITÉ
La direction du Sdis 95 (Val d’Oise), elle, invoque auprès de nos confrères du Parisien, le devoir de neutralité et de réserve dont doivent faire preuve les fonctionnaires. Contacté par Marianne, la direction du Sdis 95 n’a pour l’instant pas répondu à nos sollicitations. "Le brassard c’est pour instaurer un dialogue avec la population. Pour que les gens, qui apprécient les pompiers, sachent pourquoi nous protestons. Un simple brassard arboré annoté ”gréviste” ne veut pas dire que l’on raconte des secrets sur la profession", réplique le sapeur-pompier syndicaliste.
"Il y a un flou juridique autour du droit de grève et donc beaucoup de variations dans les modalités"
En 2017, une note du directeur départemental du Sdis 95, restreignait déjà les sapeurs-pompiers dans leur mode d’expression de la grève. Ils avaient reçu l’interdiction d’écrire sur leurs véhicules de fonction des slogans. "A l’époque, ils ont oublié les brassards", souligne le syndicaliste d’un rire jaune. "Il y a un flou juridique autour du droit de grève dans la fonction publique territoriale et c’est pour cela qu’il y a tant de variations sur les modalités de nos grèves", lance Peter Gurruchaga. Chez les pompiers, les modalités d’une grève diffèrent en effet d’un département à l’autre. Le Sdis est dirigé par un officier supérieur, lui-même placé sous la double autorité du préfet et du président de son conseil d’administration. Les modalités de la grève dépendent également de la qualité du dialogue social entre la hiérarchie et les syndicats. Dans le Val d’Oise, "cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu de négociations ou de discussions avec les représentants du personnel", regrette Peter Gurruchaga.
ACCORD DE GRÈVE TACITE
Tout au Sud, dans les Bouches-du-Rhône, pour éviter toute ambiguïté, la direction départementale du Sdis en collaboration avec les syndicats a "édicté un règlement intérieur", souligne Christophe Rodriguez, secrétaire général adjoint du syndicat CGT pompiers dans le département. "Tout a été réglé à la lettre. Nous avons interdiction de taguer les camions mais nous pouvons porter le brassard". Un accord de grève tacite qui convient à toutes les parties, "même si certains aimeraient pouvoir peindre les camions pour plus de visibilité… On joue au jeu du chat et de la souris, admet Christophe Rodriguez. La nuit ça tague des véhicules, pour être effacé quelques heures après. Mais tout ça dépend du dialogue social permanent".
En Indre-et-Loire, l’interdiction de peinturlurer les camions vient tout juste de tomber. Ce jeudi 1er août, les officiers du service départemental d’incendie et de secours ont reçu une note leur donnant l’ordre de nettoyer "tout véhicule de service sale ou qui porterait des inscriptions interdites". Comme leurs collègues du sud et de région parisienne, les sapeurs-pompiers du Sdis 37 ne cessent pas leur activité, les camions étaient un moyen d’expression parmi peu d’autres.
🚨🚒
— POMPIERS & PATS / SPASDIS 37 (@POMPIERS_CFTC37) July 31, 2019
Breaking news !!!
ALERTE GÉNÉRALE
Regardez la seule réponse de nos dirigeants à notre mouvement social !
Bien entendu, ni voyez là que la simple décision de notre directeur sans aucunes directives possibles venant du dessus ... 🤔 pic.twitter.com/qzIonnLUCF
"Pompiers en colère", "Pompiers en grève", "pompiers en danger, population en danger", pouvait-on lire sur les véhicules du service départemental d'incendie et de secours d’Indre-et-Loire. Pas de messages violents, ni de propos injurieux ou outranciers. Jusqu’à présent, ces actions étaient même tolérées par la direction et la préfecture. "Mais lorsque les pompiers ont reçu des brassards sur lesquels ils pouvaient écrire, alors on a mis fin à l’autorisation", explique le colonel Ivan Paturel, à l’origine de la signature avec la préfecture et le conseil d'administration du Sdis.
"Nous tolérons les brassards et les affiches, mais plus la peinture" (Indre-et-Loire)
"Dans le département, nous tolérons les brassards, nous tolérons les affiches, mais plus la peinture", explique Ivan Paturel. "Ce n’est pas une question de dégradation, c’est une question de sécurité. Nos véhicules répondent à des conditions de balisage et ces écritures blanches les rendent illisibles". A ce jour, tous les camions ont été nettoyés. Ironie du sort, ils ont été toilettés alors même que la région est soumise à des restrictions d’eau. "Nos camions ne sont pas censés transmettre des mots de grévistes. Nous devons avoir des véhicules neutres. Ni publicitaires, ni porteurs de slogans", renchérit le colonel Paturel.
Pour Christophe Duveaux, vice-président CFTC du Sdis 37, cette note "est une tentative de faire taire les pompiers car ils sont proches de la population et soutenus". A la rentrée, la CFTC prévoit d’ailleurs une distribution de tracts dans les rues du département. Dans la Val d’Oise, une pétition impulsée sur change.org a déjà recueilli 3.000 signatures.