Désertification médicale
Sud-Ouest du 6 décembre 2021
Sud-Ouest du 6 décembre 2021
Les villages face à la difficile quête d’un médecin généraliste
Dans le Libournais, Sainte-Terre a tout tenté depuis cinq ans pour trouver un généraliste. À quoi tient une transition réussie ? Au travail, à la chance, mais aussi l’implication des praticiens sortants
Depuis plus de cinq ans, la commune recherche un médecin généraliste. La nouvelle maire Agnès Alfonso-Chariol (en rouge) et son équipe ont repris le combat. THIERRY DAVID / « SUD OUEST »
Recherche médecins, désespérément… Le message posé en ouverture du site Internet de la commune de Gauriac est bien entendu plus sobre, mais l’esprit est là. La petite commune du Blayais dispose encore de deux médecins. Des praticiens « à l’ancienne », qui continuent à consulter sans compter les heures. Mais leur âge les prédispose à la retraite, précise le maire Raymond Rodriguez. Avec le risque de voir disparaître une activité essentielle pour cette commune de 750 âmes qui tient historiquement, sur le plan commercial et médical, un rôle de centralité pour les bourgs environnants.
Cette angoisse, les habitants de Sainte-Terre, dans le Saint-Émilionnais, la vivent pleinement. Depuis des années déjà, outre les annonces, démarches officielles, articles de journaux, une affiche devenue banderole crie ce besoin en bord de départementale.
«Nos médecins sont tous partis ou en retraite », souffle Agnès Alfonso-Chariol, maire depuis quelques mois de cette commune viticole de quelque 1 900 habitants. Les patients, depuis lors, « se débrouillent », raconte sobrement l’une d’entre eux. Ils vont « à Castillon ou même à Libourne », où trouver un médecin référent tient tout autant parcours du combattant.
Vaincre les réticences
« La municipalité a tout tenté. Les annonces légales, la radio, les articles, les intermédiaires… » La commune s’est même fait avoir par des vendeurs d’espoir mal intentionnés. Elle multiplie les contacts mais joue parfois de malchance, comme avec ce médecin espagnol prêt à sauter le pas : « Il devait faire valider son diplôme en France. Mais le Covid l’a contraint à rester en Espagne. Il a été réquisitionné… »
Agnès Alfonso-Chariol ne sait plus comment vaincre les réticences des praticiens. « Il y a tout ici. Trois dentistes, six infirmières, quatre kinés, deux ostéopathes, un podologue et d’autres compétences encore. Il y a un vrai dynamisme, une demande, une offre locale attractive. Mais pas de généraliste », soupire celle qui s’inquiète désormais de l’activité de la pharmacie locale.
Le contrat local porté par le Pôle d’équilibre territorial et rural ne lui offre pas de porte de sortie. « Sainte-Terre, n’ayant pas pu monter sa propre maison de santé, n’est plus éligible au dispositif… » Son regret ? « Il aurait pu être porté par les médecins alors en place, mais ils ne l’ont pas souhaité. »
C’est l’un des nœuds du problème, tout autant que le numerus clausus, géré sans vision territoriale. Le même récit sous-tend en effet la situation à Gauriac. «Nos médecins n’ont jamais vraiment envisagé leur succession », soupire Raymond Rodriguez. Déni, manque d’envie de passer la main, absence de perspectives de vente de patientèle ? L’élu préfère ne voit que les conséquences : « Nous n’avons pas pu bénéficier de leurs réseaux. »
La commune de Bourg, située à quelques kilomètres de là, a joué de ces réseaux. Avec un résultat apprécié à sa juste valeur. « Nous avons lancé notre projet avec le soutien des généralistes en place, raconte le maire Pierre Joly. Ils ont participé à l’élaboration du projet, mais aussi à la construction. Nous avons aujourd’hui six médecins en activité. Nous avons obligation, en contrepartie de la labellisation, d’accueillir un interne, pour lequel nous avons aménagé un appartement. »
« Chasseurs de primes »
Ce petit miracle, Raymond Rodriguez et son adjointe Carole Gadrat aimeraient le reproduire. « Ce sont des professions libérales, on ne peut rien leur imposer. » Ils se tiennent prêts à dérouler le tapis rouge, mais refusent de renter dans le jeu des « chasseurs de primes ». « Beaucoup ne se déplacent pas si vous n’êtes pas en zone de revitalisation rurale. Ils veulent bénéficier des aides à l’installation allouées par l’Agence régionale de santé. »
Mais le temps joue contre l’équipe municipale. « La commune a réaménagé l’ancienne pharmacie en face de la mairie pour en faire sa maison de santé. L’Établissement public foncier s’est porté acquéreur de l’immeuble en mars 2020. Mais nous devons en récupérer la propriété dans un délai de quatre ans. Il nous reste deux ans et demi. » Ils mettent en avant les atouts de la commune, « mais ils recherchent avant tout la qualité de vie. Avec une prédilection pour un environnement urbain. » Pour ne pas dire « pour Bordeaux » ?
Le constat est le même à Sainte-Terre. « Faute de solution tracée, il nous faut inventer. » La commune a réuni, il y a quelques jours, les acteurs des métiers de la santé pour leur proposer de porter un projet privé intégrant toutes les spécialités, dans les murs de l’ancien presbytère, avec la conviction qu’il suffira de poser une plaque pour remplir le carnet de rendez-vous. La suite reste à écrire…