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13 octobre 2021

Réchauffement climatique

20Minutes du 13 octobre 2021 

Réchauffement climatique : La « compensation » carbone plutôt que la « réduction », le jeu de dupe des entreprises ?

CLIMAT A quelques jours de la COP26 de Glasgow, des ONG s’alarment de la multiplication des stratégies de neutralité carbone d’entreprises qui reposent exagérément sur des programmes de compensation carbone. Typiquement en plantant des arbres. Dangereux ?

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« Un café d’exception 100 % neutre en carbone » ; . La promesse est de Nespresso, marque de café du groupe Nestlé, qu’elle affiche en grand dans ses spots publicitaires et sur Internet. L’entreprise est « l’une des premières marques à avoir communiqué sur un produit neutre en carbone », note l’ONG CCFD-Terre solidaire, avant de déconstruire l’argument.

Nespresso vise la neutralité carbone sur l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement et du cycle de vie de ses produits d’ici à 2022. Cela ne veut pas dire que l’entreprise n’émettra plus aucun gaz à effet de serre. Elle vise en réalité, comme tant d’autres, le « zéro émissions net », en s’offrant la possibilité de jouer sur le levier de la compensation carbone. Autrement dit : financer des projets qui permettront de retirer de l’atmosphère des quantités de CO2 comparables à celles qu’elle n’a pas réduites. Classiquement via la plantation d’arbres.

« Compenser ne vaut pas réduire »

Tout le problème pour Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre solidaire, est que Nespresso « ne prévoit de diminuer que de 5 % ses émissions d’ici à 2022 et de compenser 95 % des émissions restantes », explique-t-elle. Nespresso n’est pas la seule. Dans son rapport « Compensation carbone, tout sauf neutre », publié le 6 octobre, CCFD-Terre Solidaire épingle Air France et Total Energies, qui visent aussi la neutralité carbone. « Les stratégies restent très floues mais on comprend qu’elles reposent en grande partie sur des mécanismes de compensation carbone », explique Myrto Tilianaki.

C’est par exemple le programme « Trip and Tree » d’Air France, via lequel ses clients peuvent faire un don pour financer des projets de plantation d’arbres en France ou ailleurs, illustre l’étude. Ou encore l’unité « Nature Based solutions » (NBS) qu’a créée Total en 2019, et dans laquelle elle compte investir 100 millions de dollars par an dans la création ou la préservation de puits de carbone naturel (forêts, mangroves et autres écosystèmes qui captent naturellement du CO2…).

Tout le problème est que « réduction » et « compensation » ne se valent pas, selon CCFD-Terre Solidaire. Du moins, « la compensation ne peut être une excuse pour ne pas chercher à réduire ses propres émissions, ce qu’il faut faire d’urgence », insiste Sylvie Bukhari-De Pontual, sa présidente. En août dernier, dans son rapport « Pas si net », Oxfam France dénonçait déjà ces « diversions sur l’impératif de réduction des émissions » devant « la multiplication récente des annonces de neutralité carbone – des Etats comme des entreprises – reposant sur des promesses démesurées de plantation d’arbres. »

Des promesses irréalistes ?

La diversion n’est pas le seul écueil. « On identifie peu de projets de compensation cochant toutes les cases qu’ils devraient, indique Frédéric Amiel, coordinateur des Amis de la Terre. C’est-à-dire avec une réelle plus value dans la captation de CO2, mais en prenant en compte aussi les enjeux de biodiversité [ne pas faire de la monoculture d’arbres, par exemple] et les populations locales ».

Tout de même, « pendant longtemps, du fait de la vigilance des ONG, cette compensation carbone a été essentiellement circonscrite à de la conservation et de la restauration de forêts existantes », poursuit Frédéric Amiel. Une frontière en passe de voler en éclats ? « En totalisant les promesses de plantation d’arbres lancés dans les plans de neutralité carbone, on se rend très vite compte qu’elles sont irréalistes, glisse Elise Naccarato, responsable « campagne climat » d’Oxfam France. Nous avons par exemple analysé les objectifs zéro émission nette des quatre plus grandes entreprises productrices de pétrole et de gaz (Shell, BP, TotalEnergies et Eni). À eux seuls, leurs plans pourraient nécessiter de reboiser  une superficie deux fois supérieure à celle du Royaume-Uni. »

C’est la crainte d’Oxfam et de CCFD-Terre Solidaire : que cette compensation carbone se traduise très vite par la plantation de nouvelles forêts, au prix de l’utilisation de vastes étendues de territoires. En particulier dans les pays à faible revenus. « Une mise sous cloche de la nature qui se ferait au détriment des populations locales, de leurs modes de vie et de leur souveraineté alimentaire », s’inquiète CCFD-Terre Solidaire.

Une forêt de 40.000 ha d’acacias qui pose question

Pour Myrto Tilianaki, un projet symbolise déjà cette dérive : la plantation d’une nouvelle forêt d’acacias de 40.000 ha que Total Energies et son partenaire Forêt Ressources Management (FRM) projettent sur un domaine de 55.000 ha acquis sur les plateaux de Batéké, en République du Congo. Le but ? Séquestrer plus de dix millions de tonnes de CO2 sur vingt ans. Mais le projet a aussi une vocation « écologique et agro-forestière », défend Paul Bertaux, directeur technique du groupe FRM dans une interview au média local Makanisi. Sur ces 55.000 ha, « 15.000 seront constitués de zones de protections permettant aux forêts naturelles éparses de se reconstituer voire de s’étendre », précise Paul Bertaux. « Entre les rangées d’acacias, des agriculteurs planteront et cultiveront du manioc », poursuit-il. Au bout de huit ans, le bois de cette forêt d’acacias sera exploité pour en faire du charbon de bois vendus sur les marchés environnants, en substitution à celui issu de déforestation de forêts naturelles, explique-t-il toujours dans l’interview.

CCFD-Terre Solidaire donne un tout autre regard en s’appuyant sur le témoignage d’une association locale partenaire. « La zone du projet est celle d’une savane dense avec des forêts galeries, indique Myrto Tilianaki. La destruction de cet écosystème pour y planter en grande majorité des acacias – une essence originaire ni du Congo, ni d’Afrique – affecterait la faune sauvage. Mais aussi les peuples autochtones des plateaux de Batéké, qui dépendent en partie de ces terres. Ces relais sur place nous disent aussi qu’il n’y a aucune preuve de consultation des communautés riveraines. » En avril dernier, Simon Counsel, ancien directeur de Rainforest foundation UK, avait déjà dépeint cette forêt d’acacias  comme une immense opération de greenwashing « qui cache probablement de graves dommages écologiques et sociaux locaux ».

« Exclure les terres des mécanismes de compensation »

Faut-il s’attendre à l’avenir à la multiplication de ces projets de plantations de nouvelles forêts ? L’ unité « NBS » de Total le laisse déjà présager. De son côté, Frédéric Amiel dit en voir passer de plus en plus. « Le nombre d’entreprises voulant faire de la compensation explose alors qu’un grand nombre de forêts font déjà l’objet de programmes de restauration et conservation, commence-t-il. Et surtout, l’ONU n’a pas souhaité fixer un cadre strict à la compensation. »

La COP26, qui s’ouvre à Glasgow le 31 octobre, est l’occasion de rectifier en partie le tir. « Les Etats y reprendront l’examen du manuel d’application qui fixe les règles de mise en œuvre de l’Accord de Paris de 2015, explique Sylvie Bukhari-De Pontual. Les discussions s’annoncent difficiles, notamment sur l’article 6, qui prévoit la mise en place d’un système d’échanges des droits d’émissions de gaz à effet de serre [appelé aussi marché carbone] entre les pays qui en émettent trop et ceux qui en émettent moins. » « Le secteur des terres (forêts et sols agricoles) doit absolument rester en dehors de ces marchés carbone, qu’il soit exclu des mécanismes de compensations possibles définis dans cet article 6 », insiste CCFD-Terre Solidaire, qui ira à Glasgow défendre cette position…

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