Sud-Ouest du 21 septembre 2021

2021 09 21 SO Commendt ralentir alzheimer

Sud-Ouest du 21 septembre 2021 

Maladie d’Alzheimer : comment retenir la mémoire qui fuit 

La journée mondiale dédiée à cette affection est l’occasion de découvrir de nouvelles thérapies non médicamenteuses. Reportage dans un Ehpad de Talence, en Gironde

2021 09 21 alzheimerAu sein de l’Ehpad Bontemps de Talence, des activités stimulantes sont proposées aux personnes touchées par la maladie Alzheimer. THIERRY DAVID/”SUD OUEST” 

Une par une, elles entrent dans la salle du Pôle d’activités et de soins adaptés (Pasa). À tout petits pas. Ou tassées, sur un fauteuil roulant. Dans ce gynécée, où pas un homme n’est invité, les vieilles dames ont en commun le même regard perdu, égaré dans les limbes d’une mémoire qui fiche le camp. En Gironde, l’Ehpad Villa Bontemps de Talence (groupe Korian) propose une matinée d’exercices cognitifs avec Zahra, l’assistance de soins en gériatrie, Clémence de Gironde, la psychologue, et Eva Gomes et Mélanie Joussaume, ergothérapeutes. 

Rosalie et Colette (1), les plus joyeuses, prennent les devants. Colette ne veut pas s’asseoir, elle trépigne d’impatience, même si elle ne se rappelle plus trop ce qu’elle fait là : « Je viens aider à distribuer des papiers, annonce-t-elle avec conviction, et puis rencontrer des gens. Voyez, je suis née en 34, ce qui me fait… » Elle ne finira pas sa phrase, tandis qu’Annie, dans son fauteuil, enchaîne : « Moi, je suis née en 41, ce qui me fait 60 ans ». L’aide-soignante qui finit de l’installer la reprend en lui signifiant qu’elle en a 80, ce qui provoque chez Annie un gloussement de petite fille. 

Agir sur le mieux-être 

Elles sont une dizaine à participer au Pasa, ce pôle d’activités qui propose des thérapies non médicamenteuses, innovantes, inventives destinées à non pas restaurer la mémoire mais, en tout cas, limiter la fuite en avant. « Toutes les personnes souffrant de démences ne peuvent participer à ces activités, précise Clémence, la psychologue. Il y a des critères d’inclusion et ils évoluent en même temps qu’évolue l’état du patient. Participent ceux qui ont conservé des capacités cognitives et souffrent de troubles du comportement modérés, de type apathie, dépression ou anxiété. La sélection des participants est assurée par une équipe pluridisciplinaire. » 

Mission du Pasa : agir sur le mieux-être, en sociabilisant la personne malade, et sur la confiance en soi, en lui montrant qu’elle a encore des compétences. 

Voyage en Amazonie 

Tandis qu’un groupe est installé devant une télévision interactive, un autre se retrouve avec couteaux, économes, saladiers, pommes et bananes afin de préparer une salade de fruits, dans l’atelier cuisine. Et un troisième accompagne Mélanie, l’ergothérapeute, afin de participer à l’activité Lumeen, un casque virtuel posé devant les yeux, soit une invitation à vivre un voyage immobile dans la forêt amazonienne. Si le voyage est statique, il est l’occasion pour les octogénaires futuristes de raconter aux autres ce qu’elles voient. Ainsi, ces singes qui semblent sortir de l’image pour venir s’accrocher à leurs mollets les réjouissent. 

Devant la télé interactive, le groupe travaille la mémoire. Vocabulaire, calcul mental. L’ancienne institutrice, première de la classe, lève le doigt. Juliette s’est tassée dans son fauteuil. Elle boude. Ne répond à rien. Elle était prof’ de français, latin, grec. Lorsque l’intervenante lui demande d’épeler le mot « fourmi », elle y consent dans un haussement d’épaules. « C’est un jeu ça ? Je cherche pas à comprendre, moi c’est la musique que j’aime, j’étais pianiste, Schumann, Albéniz… mais je n’ai plus de partition. » Elle tourne le dos, épelle « pingouin » de mauvaise grâce, tandis qu’à la même table, Colette, l’instit’, applaudit. 

Les mains n’oublient pas 

Zahra Del Negro, l’assistance de soins en gériatrie, se charge de l’atelier cuisine. Mais avec Josiane, 88 ans, elle n’a qu’à bien se tenir. Car Josiane fut l’aînée d’une fratrie de 13 enfants et la cuisine son domaine. Si elle a perdu une partie de son histoire, les mains, elles, n’ont rien oublié de leur dextérité. Josiane se concentre en épluchant une pomme, sans en gaspiller une miette. Épluchure parfaite. Elle jubile tout en rouspétant : « Et en plus, vos couteaux ne coupent pas ! » Comme si le geste convoquait des souvenirs, la voilà qui énonce la recette de riz au lait de sa mère. Zahra l’écoute attentivement : « Et vous mettiez des pommes dans le riz au lait ? » La question provoque l’hilarité de la vieille dame. 

Juste en face, Simone coupe scrupuleusement des bananes en tranches. Et les engloutit dans le même rythme, tranche après tranche. « Je triche », pouffe-t-elle. Cet atelier, juste avant les confinements, impliquait des repas thérapeutiques permettant aux patients de mettre le couvert, le lever, de servir, de retrouver des gestes du quotidien. « On a interrompu cette activité, remarque Clémence, parce que la perte cognitive liée à la crise sanitaire a été plus importante que prévu. Le fait que la sociabilité ait été limitée a fait des dégâts. » Pendant ce temps, dans l’Ehpad, Joe Dassin chante « L’Été indien »… 

(1) Les prénoms ont été changés.

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2021 09 21 SO Du sang vers le cerveau

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