Actu.fr Nouvelle-Aquitaine du 28 mai 2021

Interview Changement climatique : doit-on se préparer à manquer d'eau à Bordeaux ?

2021 05 28 actu

"L'état et le volume de nos cours d'eau en Gironde est inquiétant" alerte L'Agence de l’Eau Adour-Garonne, qui plaide pour "une mobilisation de tous"

Le 17 mai dernier, l’Agence de l’Eau Adour-Garonne invitait les acteurs de l’eau et les citoyens à son « forum de l’eau ». L’idée ? Faire émerger des leviers d’actions pour peser sur les politiques de l’eau menées dans le Sud-Ouest sur la période 2022-2027. « Tout le monde doit se mobiliser » insiste Bruno Leménager, Directeur de la délégation Atlantique-Dordogne de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, qui pointe notamment des ressources qui s’amenuisent, une dégradation notable de la qualité de l’eau des rivières, une biodiversité aquatique fragilisée et un territoire en proie à des sécheresses et inondations plus fréquentes et plus intenses d’ici 2050, corollaire de l’augmentation des températures en surface. 

Actu :  Pourrait-on un jour manquer d'eau à Bordeaux ? 

Bruno Leménager : Nous ne sommes pas directement menacés par la pénurie à Bordeaux car nous puisons très profondément dans une nappe captive, vieille de plusieurs centaines de millions d'années. Elle bien dotée. Et l'eau est de très bonne qualité. L'approvisionnement des Bordelais n'est donc pas dépendant des eaux de surface (rivières et fleuve), qui elles, sont directement menacées. 

De fait, il n'y a pas de raison d'être inquiet ? 

B.L. : Pour faire une comparaison automobile, lorsque qu'on a équipé les voitures de freins ABS, les accidents ont augmenté. Comprenez que le fait d'être en sécurité et bien pourvu à Bordeaux, ne doit pas nous empêcher d'être prudent avec notre consommation. Plusieurs phénomènes liés au changement climatique nous inquiètent aujourd'hui.
Le réchauffement des températures en surface pousse les végétaux à puiser plus abondamment dans les sols et les rivières. Ils assèchent littéralement sol. Et ce ne sont pas les seuls fautifs : l'agriculture, les industriels, tout le monde se sert dans les cours d'eau.
Du fait de cette compétition qui se joue en surface, il y a une surexploitation des eaux profondes. L'éocène du bassin d'Aquitaine par exemple, est déjà en déséquilibre. La législation autorise à prélever jusqu'à 56 millions de m³ chaque année, alors qu'il faudrait en prélever 36 millions pour ne pas affecter les stocks.

Donc, la nappe risque donc de se vider à terme? 

B.L. : Çà ne se fera pas brutalement. Mais effectivement, si on cumule des pertes au fils des ans, les dommages risquent d'être importants. 

Vous semblez particulièrement inquiets par l'état des cours d'eau ? 

B.L. : En effet. À l'échelle du pays, on estime que nos fleuves vont perdre de 20 à 40% de débit d'ici 2050. L'urgence pour nous c'est donc la Garonne. Et notamment l'estuaire. Car en se jetant dans l'eau salée, la Garonne relâche des matières en suspension : ce que l'on appelle dans notre jargon le bouchon vaseux.

Si la température est trop élevée et le volume d'eau douce trop faible, ce dernier s'allonge et absorbe avec lui l'oxygène. Tout l'écosystème de la zone est affecté. On constate par exemple que les effectifs des poissons migrateurs qui passaient sur nos côtes, diminuent dans des proportions inquiétantes. Et le phénomène est en train de s'aggraver.

Sans parler de la qualité de l'eau qui se dégrade, en raison des polluants utilisés dans l'agriculture mais aussi dans les villes.
 

Quelles sont les solutions selon vous ?  

B.L. : Il faut impérativement limiter l'artificialisation des sols et remettre de la nature en ville. Outre la réduction de la température, agréable pour les habitants d'une ville aussi minérale que Bordeaux, les végétaux absorbent les eaux de pluies qui ruissèlent sur le bitume, lessivent les sols, et polluent nos cours d'eau.
Même logique dans les champs, où il faut remettre des hais. Ces dernières ralentissent le ruissellement des eaux de pluie et retardent l'arrivée de l'eau dans les rivières. Par leurs racines, les arbres et les haies, en ville comme en campagne, permettent à l'eau de s'infiltrer dans le sol, et les nappes phréatiques.

Cela va de paire, mais il est crucial de préserver nos zones humides. Ce sont elles qui régulent nos cours d'eau. Comme des éponges : elles retiennent l'eau quand les sols sont détrempées, et font office de réservoir d'eau lorsqu'il en manque.
 

Que se passerait-il si ces zones humides venaient à disparaître ? 

B.L. : Ce serait difficile de s'en passer ! Notamment sur la Gironde, qui a fait de ses lacs un véritable atout touristique. Je pense par exemple aux Lac de Lacanau ou celui d'Hostens, qui sont en aval de zones humides. Pour faire simple, et reprendre la métaphore de l'éponge, elles permettent de lisser les apports en eau en aspirant le surplus et en servant de réserve quand l'eau vient à manquer. Vous voyez bien que le niveau reste quasiment équivalent après de fortes pluies, ou en période de sécheresse. La nature nous rend beaucoup de services. 

Si les changements climatiques génèrent une hausse des températures, ils n'ont en revanche pas diminué la pluviométrie. Cela devrait être bon pour nos réserves, non ? 

B.L. : Effectivement, nous n'avons pas perdu de volume de pluie à l'année. En revanche, les précipitations sont différemment reparties au cours de l'année. Et été, il pleut moins, ce qui aggrave l'étiage.
La pluie est très abondante en période froide. Un phénomène qui, conjugué à l'augmentation au niveau des mers, nous expose aux risques d'inondation. Et ce, particulièrement à Bordeaux ou les crues sont très dépendantes des marées. Dans les années à venir, les phénomènes extrêmes vont s'intensifier.
 

Comment pouvons-nous agir à notre niveau ? 

B.L. : Les politiques doivent apporter le cadre réglementaire pour la protection de la nature. Les instances locales, qui nous appuient, financent les projets en faveur de la préservation des zones humides par exemple, et encourage l'agriculture biologique. Ces démarches vont dans le bon sens.

De notre coté, c'est sur la consommation qu'il faut miser. Avoir une alimentation moins carnée, manger des produits issus de l'agriculture biologique...