Covid-19
Sud-Ouest du 27 mai 2021
Sud-Ouest du 27 mai 2021
À Bacalan, la course contre le variant
La vaccination à grande échelle a débuté pour stopper la propagation du variant qui a été détecté la semaine dernière dans ce quartier populaire de Bordeaux
Devant le centre d’animation, mercredi après-midi, une cinquantaine de candidats au vaccin ont été refoulés, par manque de doses. FABIEN COTTEREAU / “SUD OUEST”
Le centre d’animation de Bacalan a un air de bout du monde. Ce coin de Bordeaux porte encore les stigmates de son passé portuaire. Loin de la pierre blonde, tout a l’air tarabiscoté, branlant, rafistolé, sous le pont d’Aquitaine qui donne le vertige. C’est ici, rue Joseph Brunet, que la Ville et l’Agence régionale de santé (ARS) ont décidé de monter une annexe du vaccinodrome du Parc des expositions, un centre vaccinal éphémère. À 14 heures, ce mercredi, les flacons de Pfizer étaient au frais, les vaccinateurs au taquet et… les candidats très, très nombreux. Trop.
La semaine dernière, un variant classé VOC (variant préoccupant) a été détecté dans une école du quartier. Tests PCR positifs envoyés au séquençage. Alerte rouge. Très vite, les réactions ont été à la hauteur : l’école a été fermée, la Ville mobilisée, le CHU de Bordeaux a pris la mesure de la situation avec l’ARS et la Préfecture, ouvrant en 24 heures chrono un centre de tests en plein cœur du quartier. L’opération de tracing de la Caisse d’assurance maladie a permis de circonscrire l’étendue de l’épidémie. À ce jour, 1 000 personnes ont été testées, 61 se sont révélées positives et une a été hospitalisée.
« Contretemps »
Jusque-là tout allait bien. L’ARS avait réussi à débloquer 19 000 doses de vaccin supplémentaires pour piquer le plus largement possible, soit tous les bacalanais dès 18 ans. Mais mercredi à 14 heures, pour l’ouverture du centre de vaccination, le public a afflué. À vélo, à pied, en auto, avec des poussettes et des enfants dedans, des bébés dans les bras, comme un mercredi quoi.
À un détail près : « Pas assez de vaccins pour tout le monde, a déploré Philippe Bouffard, médecin-chef des sapeurs-pompiers, superviseur médical des vaccinodromes. On est en rodage, c’est le premier jour. Nous ne pouvons pas stocker de vaccins ici, l’objectif est zéro dose perdue, on se heurte à des contraintes logistiques. On est désolé de ce contretemps. »
Sauf qu’ici, on est à Bacalan, et à Bacalan on bataille ferme. Fabienne, 53 ans : « On a lu partout qu’on pouvait venir sans prendre rendez-vous et une fois ici ce n’est plus possible ? On a un variant flippant, on a les chocottes et on ne nous protège pas. Moi je veux être vaccinée, vite ! »
Depuis une heure, Noémie, 36 ans attend devant la porte, avec son fils de 15 mois dans une poussette. « Pour une fois que c’est pas lui qui se fait vacciner, rigole-t-elle. J’ai hâte, ça va me soulager. » Sauf qu’elle non plus, ne pourra pas se faire piquer aujourd’hui. Elle tourne les talons, furax.
Idem pour Sandra, 45 ans, qui alpague les élus venus applaudir l’ouverture du centre : « Je suis en colère parce qu’il y a urgence pour nous, on a joué le jeu, on a répondu présent lorsqu’il a fallu faire les tests. On pensait que ce serait aussi simple pour la vaccination. Et on a attendu pour rien ! On nous a donné un numéro de téléphone hier soir pour prendre rendez-vous et ce numéro est saturé ! »
Juste un malentendu
La veille, en effet, 2 500 habitants de Bacalan ont été alertés via un coup de fil, un sms, ou un mail, de l’ouverture de la vaccination à 14 heures ce mercredi. Explication fournie par Philippe Latrille, responsable de la prévention à Bordeaux-Métropole : « Tout s’est construit dans l’urgence de la situation, nous avons attribué un numéro de téléphone dédié aux gens du quartier (0 556 103 333), afin qu’ils prennent un rendez-vous. Aujourd’hui, on était limités à 70 vaccins. » Marie et Jean-Denis, la petite quarantaine, eux, ont réussi le passage : « 200 appels depuis 8 heures ce matin, avant d’obtenir un rendez-vous, mais on n’a rien lâché », remarque Jean-Denis.
Bénédicte Motte, directrice départementale de l’ARS et Pierre Hurmic, maire de Bordeaux ont tenu à faire face à la colère des bacalanais. « C’est juste un malentendu, ont-ils rassuré. Ici, on vaccinera jusqu’à 200 personnes par jour à compter de jeudi. D’autre part, vous pourrez aussi vous faire vacciner au Parc des expositions, où trois lignes vous sont réservées, au centre de vaccination du Pin Galant à Mérignac, au Bouscat et dans les pharmacies du quartier ! »
Devant la porte du centre, Justine, Lisa, Louis, Paul… Ils ont 20 ans et font la tête : « C’est abusé, on croyait enfin se débarrasser du truc, aujourd’hui », râle l’un. « On est de Bacalan et en un week-end on est passé de non-prioritaire à prioritaire. C’était cool, enfin si on avait pu. »
Ils pourront. Très exceptionnellement, l’ARS a « joué le jeu » et tous les candidats malheureux au vaccin de Bacalan, seront piqués au vaccinodrome avant le soir tombé et sans rendez-vous. Ouf.