Sud-Ouest du 6 avril 2021
Olivier Véran : « Les mesures ont eu un premier impact positif »
Le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran, au cours d’une interview exclusive à « Sud Ouest », annonce une aide de l’État pour la refonte du CHU de Bordeaux – dans le cadre du Ségur de la santé – et fait un point sur la hausse des salaires des soignants et la gestion de la crise du Covid-19
L’État va soutenir le projet du Nouveau CHU de Bordeaux, qui s’élève à 1,2 milliard d’euros. GONZALO FUENTES/MAXPPP
Il parle ce dimanche de Pâques, depuis le 7e étage du ministère des Affaires sociales et de la Santé, « dans mon bureau où je passe un formidable week-end ! » ironise-t-il. Pâques au boulot, donc, pour le ministre de la Santé, Olivier Véran, qui se débat entre un nouveau confinement et des tensions avec l’APHP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris).
Dans ce chaos médiatico-politico-sanitaire, le ministre a tout de même accepté une interview exclusive avec « Sud Ouest » pour annoncer le soutien financier de l’État à la refonte du CHU de Bordeaux. Occasion rare de faire un état des lieux en ce début de troisième vague épidémique.
Le CHU de Bordeaux, qui compte plusieurs hôpitaux – Pellegrin, SaintAndré, Haut-Lévêque, Xavier-Arnozan –, entame un programme de restructuration totale, dont le financement sera pour partie assuré par l’État. Combien ? Et dans quel cadre ?
Grâce au Ségur de la santé, et à son programme d’investissement et de reprise de dette des hôpitaux de 19 milliards d’euros, l’État va pouvoir soutenir fortement le projet du CHU de Bordeaux. Au total, ce sont 240 millions d’euros qu’il lui consacrera. Le CHU investit plus d’1,2 milliard d’euros en tout sur dix ans, dont 800 millions fléchés pour le projet Nouveau CHU, avec donc 240 millions d’aides de l’État.
Cette enveloppe s’ajoute aux 4 millions d’euros débloqués par l’État pour les investissements du quotidien du CHU, au plus près du terrain : travaux de réfection, achat de matériel, amélioration de l’accueil des patients et des conditions de travail des soignants.
Quelles sont les grandes lignes de cette opération Nouveau CHU de Bordeaux ?
Reconnaître le rôle de pivot que le CHU de Bordeaux joue dans la Nouvelle-Aquitaine. Un million de patients y sont soignés chaque année. Il est classé CHU d’excellence, premier dans de nombreux domaines, bien placé en recherche : un fleuron du système hospitalier en France. Hélas, il accuse un taux de vétusté supérieur à la moyenne des CHU français.
Ce projet permettra la modernisation des plateaux techniques sur tous les sites, surtout à Pellegrin et Haut-Lévêque. Le service des urgences de Pellegrin va être reconstruit, avec une augmentation de sa capacité pour répondre aux besoins, et un autre service d’urgence sera créé, lui, à Haut-Lévêque. Le projet va également donner un nouveau souffle à l’hôpital Saint-André, qui devient un hôpital de centre-ville moderne doté d’une maison de santé universitaire, d’un plateau de consultations médicales, d’un pôle de santé publique.
Cette reconstruction nécessaire tientelle cas de la réalité sanitaire dans laquelle la pandémie du Covid-19 nous a plongés ?
Bien-entendu. Tout ce que nous apprenons du Covid se retrouve dans le Ségur de la santé et dans les projets que nous soutenons. Et le CHU de Bordeaux et ses soignants ont été à ce titre d’une solidarité exemplaire pendant la crise.
Par ailleurs, ce projet bordelais met au centre l’écologie, avec une véritable éco-conception des sites : limitation des consommations d’énergie des bâtiments, la climatisation naturelle sera favorisée, avec plus d’espaces verts. Sans oublier, dans ce projet global, l’incitation aux nouvelles mobilités pour ceux qui fréquentent ou qui travaillent à l’hôpital : accès piéton, promenades et aménagements cyclistes.
Comment a été conçu ce Nouveau CHU, et comment va s’élaborer le suivi de ce chantier sur dix ans ?
Ce projet a été élaboré en lien constant avec les soignants, porté par les responsables médicaux du CHU, l’Agence régionale de santé, et soutenu par l’ensemble des élus et des collectivités – les communes, la Région, le Département. Un vrai projet local. Je vais installer, dès la semaine prochaine, un comité stratégique territorial qui associera le directeur général de l’ARS, la préfète de Nouvelle-Aquitaine, les élus locaux et nationaux et les représentants des usagers pour pouvoir suivre et déployer le chantier.
Qu’en est-il de la politique de fermeture des lits, de baisse des effectifs de soignants, alors qu’il a longtemps été question de favoriser les soins en mode ambulatoire au détriment de l’hospitalisation ?
J’ai donné une impulsion nouvelle avec le Ségur de la santé : désormais, une telle restructuration ne doit pas s’accompagner de suppression de lits et de réduction du personnel. Le Nouveau CHU de Bordeaux a été initié en accord avec les médecins qui avaient participé, en 2019, à fixer les besoins en lits et en personnel. Or, avec l’épidémie, la donne a changé. J’ai donc demandé à ce qu’on requestionne le nombre de lits prévu, afin que l’on soit sûrs que ce projet réponde bien à tous les nouveaux besoins de santé du territoire.
Un mégacentre de vaccination ouvre cette semaine –le 8 avril–, au Parc des expositions de Bordeaux, mais 240 centres sont aujourd’hui accessibles au grand public dans la région. La livraison de vaccins ne suit pas encore. Où en est-on ?
Nous utilisons toutes les doses qu’on nous livre, et on vaccine au rythme des livraisons. Nous recevons de plus en plus de vaccins. Dès mercredi, seront livrées 1,3 millions de doses d’AstraZeneca et, en avril, la France recevra 2 millions de doses par semaine du vaccin Pfizer.
On monte en puissance. Et cela se traduit dans le nombre de personnes vaccinées : la semaine passée, près de 2 millions de Français ont reçu au moins une dose de vaccin. En Nouvelle-Aquitaine, la vaccination marche bien : 97 % des personnes vivant en Ehpad ont reçu au moins leur première dose, près des deux tiers des personnes âgées, et 15 % de la population générale de la région.
Aujourd’hui, un vaccin pose problème : l’AstraZeneca. Outre les difficultés liées aux livraisons, il suscite de la défiance en raison des risques de thrombose associés. Pourrait-on poursuivre la campagne sans ce vaccin ?
On ne fera pas sans ce vaccin ! Quand il y a eu un doute sur AstraZeneca au niveau européen, nous avons réagi tout de suite et suspendu son utilisation. Puis, en nous fondant sur les avis des autorités sanitaires indépendantes, nous l’avons reprise en la limitant aux personnes de 55 ans et plus. Ce vaccin est sûr et efficace, mais il pâtit d’une mauvaise presse, au-delà des risques identifiés.
AstraZeneca fait partie de notre stratégie vaccinale : les médecins, les pharmaciens vaccinent avec et, cette semaine, les infirmiers à domicile vont enchaîner. À mesure que l’Europe livre des informations, on sera capable de pivoter, ce qui ne veut pas dire qu’on change d’avis, mais qu’on tient compte des informations scientifiques.
Le conseil scientifique, qui a été très écouté durant la première année de la pandémie, traverse une pause médiatique. Quelle est sa place aujourd’hui vis-à-vis de l’exécutif ?
L’objectif prioritaire du conseil scientifique est d’éclairer les politiques dans les décisions qu’ils doivent prendre. En cela, il joue parfaitement son rôle. Il participe aussi à informer le grand public. Si vous considérez que ses membres sont moins présents dans les médias, ce serait en tout cas de leur propre choix. Nous les avons sollicités pour nous éclairer sur la tenue des élections régionales et départementales. Leur avis, que nous venons de recevoir, n’est pas aussi éclairant qu’on aurait pu l’imaginer.
Pensez-vous que le mois d’avril suffira à contenir la flambée épidémique ?
Dans les départements où l’on avait instauré des mesures de freinage, aujourd’hui généralisées à tout le pays, on constate un écart qui se creuse avec le reste du territoire. L’épidémie y augmente moins vite ces derniers jours qu’ailleurs. Donc les mesures ont eu un premier impact positif.
Ma vigilance, après la question épidémique, est celle du pic sanitaire en réanimation. Je n’ai pas de certitude, mais j’espère fort, qu’en mai, la vaccination et les beaux jours aidant, nous aurons surmonté cette nouvelle vague.