Sud-Ouest du 9 octobre 2020 

Un point pour l’allongement du délai légal de l’IVG 

AVORTEMENT L’Assemblée nationale a voté hier l’allongement du délai légal à 14 semaines. L’amélioration de la vie des femmes, qui en découle, n’est pas si évidente

2020 10 09 ivgL’accompagnement médical est aussi au cœur du débat. PHOTO « LA VOIX DU NORD » 

Les derniers chiffres délivrés par la Drees (1) en septembre dernier donnent la mesure de l’importance sociétale du sujet : 232 200 IVG ( Interruption volontaire de grossesse) ont été pratiquées en France en 2019 (contre 224 338 en 2018). 35 % des Françaises ont recours, au moins une fois dans leur vie, à un avortement. Et parmi elles, 3 000 à 5 000, qui ont dépassé le délai légal de 12 semaines de grossesse, sont contraintes, chaque année, d’aller avorter à l’étranger, et plus particulièrement chez nos proches voisins européens, comme l’Espagne (14 semaines) ou les Pays-Bas (22 semaines). 

Sur proposition de la députée du groupe EDS (Écologie, Démocratie, Solidarité), Albane Gaillot, ce délai pourrait s’allonger à 14 semaines en France. Le premier round a été gagné. L’Assemblée nationale a voté, hier, la mesure, en première lecture, tandis qu’entre amis, entre collègues, entre politiques, entre femmes, entre couples, le débat et ce qu’il véhicule encore d’incompréhensions, ont alimenté les discussions. 

1 Le confinement n’est pas étranger à l’urgence 

Le premier point qui a agité les esprits est la soudaineté de cette proposition d’allongement du délai légal. Certains y ont vu une cuisine politique quand les associations, le Planning familial en tête, revendiquaient l’urgence, conséquence directe du confinement. «Pendant ces deux mois, beaucoup de femmes n’ont pas pu consulter, coincées au domicile familial, avec des freins pour en parler avec leur entourage, avec l’appréhension du spécialiste, etc. Une situation qui a généré des retards de diagnostic et qui a multiplié les situations hors délai», rappelle Annie Carraretto, coprésidente du Planning familial de Gironde. D’ailleurs, au déconfinement, la haute autorité de la santé a étendu, temporairement et à titre exceptionnel, le délai de prise en charge pour des IVG médicamenteuses et des IVG chirurgicales. Mais, c’est bien au-delà du temporaire que les acteurs de l’accompagnement des femmes espéraient une mesure. 

2 Quatorze semaines: le délai qui «ne résout rien» 

14 semaines de grossesse. Tel est le délai posé par la proposition de loi. «Un coup d’épée dans l’eau qui va répondre à 20 % à peine des situations hors cadre légal», lâche Annie Carraretto. Car ce «hors délai» est parfois le temps nécessaire à la femme pour prendre conscience de cette grossesse non voulue, pour avoir le courage d’en parler, pour trouver vers quelle aide se tourner, pour obtenir une réponse ou un rendez-vous… Pour le Planning familial, «il faut que la France s’aligne sur les pays européens les plus progressistes en la matière.» Autrement dit, aller jusqu’à 22, voire 24 semaines. 

Du côté du Conseil national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) comme de la Fédération nationale du collège de gynécologie médicale (FNCGM), le temps de «14 semaines » est la ligne rouge qu’il ne fallait pas franchir. «Car cet allongement, au lieu d’améliorer l’accès aux femmes à l’IVG, va le détériorer. C’est le risque de se retrouver face à une désaffection des professionnels pour les pratiquer », fait remarquer le Dr Pascale Mazière, présidente de la FNCGM Bordeaux Sud-Ouest. Et de faire valoir, qu’à 14 semaines, le fœtus mesure 8 cm de la tête aux fesses, les os de son crâne se sont solidifiés. L’acte médical est « plus technique, et plus difficile humainement », d’autant qu’il va falloir procéder à l’écrasement de la tête fœtale, pour pouvoir l’aspirer. « Et avec un risque médical maternel accru, de perforation de l’utérus.» 

3 Si on parlait plutôt d’accès à l’IVG et de prévention 

Au final, la proposition de loi qui va être soumise au Sénat avant de revenir sur les pupitres de l’Assemblée nationale, pour une seconde lecture, ne satisfait personne. Et s’il est un terrain sur lequel les associations féminines et les collèges de professionnels se rejoignent, c’est celui de l’accès à l’IVG et de la prévention. «Les territoires ne sont pas égaux. Il est inscrit dans la loi qu’entre l’appel de la patiente et le rendez-vous obtenu pour une première consultation, il doit se passer un maximum de cinq jours. En Nouvelle-Aquitaine, on oscille entre sept et dix jours. L’offre d’accès n’est pas suffisante. Il faut plus de places en milieu hospitalier, plus de praticiens formés et une revalorisation de cet acte médical», argue le Dr Mazière. Le Planning familial souligne, quant à lui, la nécessité « d’appliquer les lois existantes ». «Notamment, en matière d’éducation à l’école. La question de l’accès à l’avortement doit entrer dans une politique globale qui va rejoindre la question des droits des femmes ou encore celle de la déstructuration des stéréotypes de genre», ajoute Annie Carraretto. 

Et tout ceci, en préservant les acquis dans un contexte ou les antiIVG reprennent la parole. « C’est vrai, mais ces voix sont contrées par la montée en puissance d’une jeunesse qui se mobilise sur ces sujets-là, constate la coprésidente du Planning familial de Gironde. De toutes les façons, le plus grand danger sur cette question serait de se taire…» 

  1. Drees, direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des solidarités et de la santé.

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