Sud-Ouest du 31 août 2020
Danger des baïnes : les touristes sont-ils avertis ?
MÉDOC Les noyades survenues le 20 août à Carcans reposent la question d’une politique de prévention des accidents dus à ces courants marins. L’information délivrée aux vacanciers sur ces risques semble insuffisante
C’est un panneau qui agace prodigieusement Jérémy Leclercq, habitant de Carcans depuis cinq ans. Il est placé sur l’un des trois accès à la plage principale de la plage: «Le seul où en été, un panneau explique le phénomène des baïnes ». Le mérite d’exister est anéanti par sa disposition: « Parallèle au chemin, les gens ne le regardent tout simplement pas. C’est comme si on mettait un sens interdit, parallèle à la chaussée à l’entrée d’une rue !»
Le Carcanais a contacté la Communauté de communes où on lui aurait répondu que la réglementation et l’information étaient respectées. «J’ai déjà été très marqué par la mort d’une jeune Polonaise de 21 ans l’an dernier à cet endroit», poursuit M.Leclercq. «Le panneau mis bien en face des passants aurait-il permis de la sauver ? Je n’en sais rien mais il faut mettre tous les atouts…»
Cet exemple peut paraître anecdotique mais après la noyade d’un père et de deux de ses enfants le 20 août, il relance chez beaucoup sur le littoral girondin la question: en fait-on assez dans la sensibilisation de la population arrivant sur les côtes chaque été, ne connaissant pour la plupart, rien aux baïnes et leurs courants ravageurs ?
Dès le lieu d’hébergement
« On peut se poser la question, oui », déclare Patrick Meiffrein, maire de Carcans, très marqué par le drame qui s’est déroulé sur au Grand-Crohot-des-Cavales il y a dix jours. « Nous mettons des panneaux d’information en plusieurs langues sur les accès, nous prévenons sur le site Internet de la ville, nous faisons des animations dans les campings mais cela ne suffit visiblement pas. Les gens sont ici épris de liberté, au mépris parfois de la prudence nécessaire.»
Nous avons appelé une quinzaine d’hôtels et de restaurants de Vendays-Montalivet à Lège-Cap-Ferret. Un sondage très partiel mais quand même : cinq structures avaient chez eux des dépliants sur les baïnes et le danger qu’elles représentent en cas de houle à fort courant. «On n’a jamais reçu quoi que ce soit», affirme la responsable du camping Le littoral à Hourtin. «Je pense que ce serait bien utile en effet.»
Du côté de la préfecture, on met en avant l’impression d’un dépliant à 30 000 exemplaires distribué par les nageurs sauveteurs CRS dans les postes de secours et dans les mairies par le personnel des sous-préfectures de Lesparre et d’Arcachon, disponible aussi sur le site Web en version anglaise, espagnole et allemande. Pourquoi ne se retrouvet-il pas dans tous les campings, hôtels et lieux d’hébergement ? Les enjeux économiques d’une saison touristique freinent-ils inconsciemment une prévention plus forte qui risquerait de faire fuir la clientèle côtière ?
Outil d’alerte précis
«Le drame de Carcans et 100% des noyades analogues sont évitables», assène Éric Tellier, médecin-urgentiste au CHU et au Samu33. «Le seul message diffusé vraiment partout est “Baignez vous en zone surveillée”. Cela ne suffit pas.» Avec son collègue Bruno Simonnet et Bruno Castelle, physicien à l’université de Bordeaux, il travaille depuis 2013 sur la question, via notamment sa thèse de doctorat soutenue en novembre dernier (1).
Outre un état des lieux très précis des phénomènes et de leurs conséquences présentés dans différents colloques internationaux, le trio a développé un outil prédictif de noyades liées aux baïnes, conjuguant dans un logiciel les facteurs maritimes, météorologiques et calendaires. Une sorte de bulletin «Vigilance baïnes » comme on peut en connaître pour les incendies et les orages, avec cinq niveaux de danger. Les moyens et réseaux techniques ne manquent pas pour diffuser l’alerte au maximum.
« On travaille aujourd’hui sur des tranches horaires encore plus à risques », indique Bruno Simonnet, initiateur de la démarche en 2013 après un printemps très meurtrier. Les courants d’arrachement sont en effet particulièrement forts deux heures avant et après la marée basse.
L’urgentiste se souvient d’un accueil pour le moins frileux des élus du Sivu (2) de surveillance des plages il y a quelques années. « La seule commune avec laquelle nous avons beaucoup travaillé est celle du Porge. On s’est aperçu d’ailleurs que 50 % des locaux ne savaient pas forcément reconnaître une baïne.»
Méthodologie de surveillance
«Les choses évoluent et l’écoute se généralise», nuance Éric Tellier qui cherche avec difficulté du temps et des moyens pour avancer dans le projet. Le maire de Carcans confirme: «Au parc naturel du Médoc, quelqu’un travaille aussi sur un outil de prévention de ce type.» Les noyades liées aux baïnes ou aux vagues de bord se produisent toutes hors des zones surveillées. «Il s’agit peut-être de revoir aussi la méthodologie de surveillance, avec des horaires plus souples et des rondes plus régulières et plus larges sur le littoral», suggère Bruno Simonnet.
Éric Tellier insiste sur l’amont et «la nécessité de faire disparaître les accès trop faciles, voire balisés à des plages non surveillées». L’exemple de la plage de Garonne, dotée d’un parking organisé, est à ce titre, édifiant. Une vraie politique de prévention et d’alerte, coordonnée et motivée par les acteurs de terrain à commencer par les élus : le chemin (vers la plage) semble encore long.
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«Noyades et traumatismes liés aux vagues et marées sur le littoral océanique girondin: épidémiologie, modélisation et prévention» disponible sur le site thèses.fr
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Syndicat intercommunal à vocation unique.
Sud-Ouest du 31 août 2020