Coronavirus
Sud-Ouest du 27 mai 2020
Sud-Ouest du 27 mai 2020
Le Covid depuis la cellule de crise
CHU DE BORDEAUX Depuis le 24 janvier, une cellule de crise au CHU rassemble tous les chefs des services de première ligne Covid. Au menu : état des lieux, actions et réactions. On y était
Concentration maximale autour de Yann Bubien, directeur général du CHU de Bordeaux, pendant la cellule de crise du mardi matin. PHOTO THIERRY DAVID
Entrer dans le Saint des saints. Car la cellule de crise qui, depuis le 24 janvier, réunit tous les patrons des services du CHU de Bordeaux en première ligne de l’épidémie de Covid-19, est un lieu sacré, protégé. Ce qui est dit ici pèse son poids. Les médecins arrivent au pas de course, en blouse blanche, le masque ajusté, dossier ou portable sous le bras. Pas le temps de tailler le bout de gras devant la machine à café.
L’heure tourne. Yann Bubien, directeur général, n’a pas manqué une seule de ces réunions fondatrices. La cellule de crise quotidienne a décéléré en même temps que l’épidémie, elle est devenue hebdomadaire pour s’appeler Cellule Covid.
Tout est parti de cette cellule de crise. On y a décidé des protocoles, des stocks de masques et de médicaments, on y a discuté des modes de fonctionnement, on y partagé les doutes et les questions. On y a trouvé une marche à suivre, pas à pas, pour contenir une vague épidémique.
Elle ne fut pas si haute. «Tous les jours pendant trois mois, puis une fois par semaine désormais, nous faisons un point de situation service par service. Le nombre de patients, de lits disponibles, la situation médicale... commence Yann Bubien. Il nous a fallu anticiper, tout le temps. On ne sait pas à ce jour quand cette épidémie sera vraiment terminée, car nous n’avons ni vaccin, ni médicament. Et nous ne sommes pas l’abri d’un sursaut d’activité durant l’été.»
Prévoir l’été , la seconde vague
Le professeur Didier Gruson, chef du service réanimation de Pellegrin, annonce qu’il ne reste plus qu’un patient Covid hospitalisé. « Pas de nouveau Covid récemment .» Idem à Saint-André. « Depuis quinze jours, pas de Covid...» Service après service, les patrons d’unités font le même constat, l’épidémie cède, la situation retrouve une « normalité ». Mais en fond sonore demeure le doute. Le virus n’a pas dit son dernier mot, et l’été qui arrive, le déconfinement qui va s’accélérer, ne présagent rien de bon.
Le professeur Denis Malvy, infectiologue, membre du Conseil scientifique du gouvernement, se révèle plus que prudent : « Les gens vont lâcher les mesures barrières, ils vont à nouveau se trouver dans des lieux confinés à plusieurs durant l’été... et on ne sait pas. Même si les chiffres aujourd’hui sont bas, même si on espère que le virus sera moins arrogant durant l’été, ce qui n’est pas certain puisqu’il tue en ce moment au Brésil, alors que la chaleur est caniculaire... Continuons avec humilité et audace à serrer les rangs pendant six mois.»
Toutes les hypothèses étudiées
Les médecins revisitent les quatre scénarios à venir. Du plus pessimiste au plus optimiste. « Nous avons écrit toutes ces hypothèses avec les mesures à mettre en place dès les premiers signes », rappelle Philippe Morlat, médecin et président du Conseil médical scientifique. Service par service. « Pas de prédiction avec des prophètes de bonheur ou de malheur, mais une préparation concrète», précise Denis Malvy.
Les médecins rappellent que des foyers viraux apparaissent sporadiquement, sont contenus suffisamment tôt, grâce au traçage, mais... «Il ne faut rien lâcher, ces clusters doivent être maîtrisés pour continuer à protéger l’hôpital, assure le professeur Matthieu Biais, patron du service anesthésieréanimation. Si jamais on a une montée en tension dans l’été, nous ne ferons plus de services entiers dédiés au Covid, mais nous aurons la même capacité d’accueil qu’au plus fort de la crise.» «Avec la possibilité de rappeler le personnel en vacances, en lançant le plan blanc», ajoute le directeur général «on n’espère pas en arriver là ».
Sinon, il a été question des stocks de masques qui ne posent plus problème, de médicaments, du manque de lits à nouveau, avec le retour d’activité aux urgences. Il a été question aussi de la reprise d’activité dans tous les services, des nouvelles règles d’hygiène qui feront loi désormais. « Vivre avec le risque» a suscité la création d’ateliers de compétences pour les professionnels de l’hôpital public.
Sud-Ouest du 27 mai 2020
Le traitement de Didier Raoult sur la touche
COVID-19 Le Haut Conseil de la santé publique et l’agence du médicament jugent inefficace l’hydroxychloroquine. Mais l’infectiologue marseillais ne s’avoue pas vaincu
Il en faudra plus pour déstabiliser le professseur Didier Raoult qui a contreattaquér dès lundi. PHOTO AFP
Deux mois et demi d’un redoutable feuilleton scientifico-politique seraient-ils sur le point de s’achever ? Mettant un terme à une polémique d’autant plus détestable que non contente de jouer avec les nerfs des victimes du coronavirus, celle-ci a placé sur le grill l’ensemble de la communauté médicale dont les divisions ont éclaté au jour. Difficile de ne pas poser la question.
Hier, en effet, dans deux avis distincts, le Haut Conseil de la santé publique et l’Agence du médicament, ont clairement recommandé de ne pas utiliser l’hydroxychloroquine comme traitement contre le Covid-19. Pour mémoire – mais comment l’aurait-on oublié… –, l’hydroxychloroquine, c’est ce médicament défendu mordicus par le professeur Didier Raoult, le très controversé et désormais célèbre directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille.
Pas d’«efficacité»
Or, après dix semaines de débat, la conclusion du groupe de travail pluridisciplinaire du Haut Conseil de la santé publique est sans équivoque. Elle pointe «l’absence d’étude clinique suffisamment robuste démontrant l’efficacité de l’hydroxychloroquine dans le Covid-19 quelle que soit la gravité de l’infection.» Et ce, que ce dérivé de la chloroquine soit associé, comme le préconise Didier Raoult, à un antibiotique, en l’occurrence l’azithromycine, ou pas.
De son côté, l’Agence du médicament a annoncé avoir lancé « une procédure de suspension des inclusions de patients dans les essais cliniques menés en France » sur l’hydroxychloroquine. Dit autrement, alors que 16 essais ont été autorisés pour évaluer l’efficacité de cette médication, il ne sera pas possible d’ajouter de nouveaux malades. Toutefois, si les patients en cours de traitement peuvent aller au bout du protocole, c’est bien une pierre de plus qui est tombée dans le jardin de Didier Raoult.
Risques cardiaques
Et ce n’est pas la seule. Depuis lundi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a suspendu tous les essais cliniques qu’elle mène dans plusieurs pays sur ce traitement. Par précaution.
Derrière ce consensus émerge une étude publiée vendredi dans la prestigieuse revue médicale britannique « The Lancet ». Celle-ci, s’appuyant sur les données issues de 96 000 patients de par le monde, conclut que ni la chloroquine, ni l’hydroxychloroquine, ne sont efficaces contre le Covid-19 chez les malades hospitalisés. Et plus ennuyeux encore, qu’elles augmentent le risque de décès et d’arythmie cardiaque. Ce que de nombreux médecins, y compris en France, dénoncent depuis plusieurs semaines.
«Foireuse»
Une issue que Mathieu Molimard, le chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux, attendait: «C’est une conclusion logique. On a aucun élément pour dire que l’hydroxychloroquine est active. Et je rappelle qu’elle a déjà aggravé l’état des patients dans deux autres viroses, le chikungunya et le VIH. L’étude de Didier Raoult a été construite sur du sable.»
Malgré tout, le débat est, sans doute, loin d’être clos. En effet, il en faudra plus pour déstabiliser Didier Raoult. Lundi, dans une vidéo, il a jugé cette étude «foireuse ». «Ici, il nous est passé 4 000 malades entre les mains. Vous ne croyez pas que je vais changer d’avis parce qu’il y a des gens qui font du ‘‘big data’’, qui est une espèce de fantaisie complètement délirante, qui prend des données dont on ne connaît pas la qualité et qui mélange tout.»