Coronavirus
Sud-Ouest du 6 avril 2020
Sud-Ouest du 6 avril 2020
Il ne faut pas baisser la garde
CORONAVIRUS Le bilan français laisse apparaître un reflux de l’épidémie. Il est fragile et ne doit donc pas inciter au relâchement
Hier, dans la matinée, sur l’antenne de France Info, la présidente de la Société française de médecine d’urgence, Agnès Ricard-Hibon, a prévenu: «Ce n’est pas le moment de baisser la garde sinon la seconde vague de l’épidémie sera terrible».
Un avertissement qui répondait à un constat: samedi et hier, dans les grandes villes, les parcs et les abords des plans d’eau ont été beaucoup plus fréquentés que les weekends précédents. Un relâchement des comportements en matière de confinement, encouragé par une météo estivale et la petitesse de certains logements. Mais qui s’explique sans doute aussi, samedi, par une moindre présence policière pour les contrôles des titres de déplacement en ville, les forces de l’ordre ayant été principalement chargées de surveiller les axes routiers pour éviter les «migrations de vacanciers ».
S’il fallait une image pour illustrer le fait que le combat contre l’épidémie est loin d’être gagné, ce serait celle des TGV médicalisés partis, hier, de Paris vers la Bretagne (Vannes, Quimper, Rennes, Saint-Malo et Morlaix). Après les trains chargés de délester les hôpitaux de l’Est, la semaine dernière, ces deux TGV avaient pour mission de soulager de 40 patients lourdement atteints les services de réanimation des hôpitaux d’une capitale en situation de quasi-saturation.
Baisse en Italie et en Espagne
Alors que dans le monde, le bilan des décès dus au Covid-19 s’élevait hier à 68 181 (selon worldometers.info). L’Italie, pays le plus endeuillé au monde (plus de 15 887 morts), affichait un ralentissement de - 23 % du nombre de morts, entre samedi et dimanche, et 17 patients de moins en réanimation. Avec tout de même 525 décès en 24heures, le bilan d’hier était le plus bas dans le pays depuis le 19 mars.
En Espagne, 674 personnes ont perdu la vie hier. Là-bas aussi, ce lourd bilan est le plus faible depuis dix jours.
En France, hier soir, la direction générale de la Santé a annoncé 357 décès de plus en 24 heures. Il s’agit du chiffre le plus faible de la semaine, portant le nombre de morts en milieu hospitalier à 5 889. Dans les Ehpad, depuis le début de la crise, 2189 personnes ont perdu la vie. Au total, la France enregistre 8 078 décès dus au coronavirus. Si 16183 personnes sont sorties guéries des hôpitaux, 28 891 y sont encore et, hier, 748malades supplémentaires ont été admis. Par ailleurs, 140 personnes ont été placées en réanimation, ce qui représente une décélération des admissions… mais porte le total des patients les plus durement touchés à 6 978.
120 décès au total en région
En Nouvelle-Aquitaine, 762 personnes sont hospitalisées, c’est 13 % de plus par rapport à la veille. 243 personnes sont en réanimation. La région a enregistré le décès de 9 patients lors des dernières 24heures, cela porte le total régional de morts à 120 personnes.
Sud-Ouest du 6 avril 2020
Bas les masques sur la pénurie et les besoins
CORONAVIRUS Le prétexte de la pénurie ne peut plus masquer la nécessité du port généralisé. La France et les États-Unis ont dû faire volte-face. La course à l’approvisionnement est rude
Dans la région -comme ici à La Rochelle ou Bordeaux- le masque fait peu à peu son apparition dans notre quotidien. PHOTOS XAVIER LÉOTY ET LAURENT THEILLET/« SUD OUEST »
Masque. Il a colonisé depuis une semaine, non seulement les ordres du jour des États mais aussi les conversations des citoyens confinés. C’est l’équipement que pleurent depuis le début de l’épidémie les professionnels de santé en première ligne de la guerre contre le virus et les professionnels de la deuxième ligne (industries agroalimentaires, transporteurs, grande distribution, force de police et de gendarmerie). D’autant que l’objet convoité est rare et compliqué à obtenir et que les discours autour de la nécessité ou non de son port étendu à tous, ont basculé… à 180°.
1 Volte-face sur le port généralisé du masque
Vendredi, le président américain, Donald Trump appelait ses concitoyens à se couvrir le visage, à l’extérieur. Samedi, le ministre de la santé français, Olivier Véran, évoquait pudiquement « une réévaluation de la doctrine pour équiper les Français de masques » tandis que d’autres criaient au mensonge et à la volte-face. Car après avoir martelé que les masques étaient inutiles contre la pandémie lorsque l’on n’était pas malade ou en première ligne, les discours officiels notamment de la France et des États-Unis ont pris une autre tournure.
Le gouvernement français a ainsi annoncé cette semaine la fabrication de masques alternatifs non destinés aux personnels soignants et ce, afin d’équiper le secteur médico-social. Une quarantaine d’entreprises françaises ont d’ailleurs été mobilisées par l’État après lui avoir soumis des prototypes pour une production de 500 000 protections de ce type par jour.
Parallèlement, l’Académie de médecine a jugé, vendredi, qu’un masque « grand public » devrait être rendu obligatoire pour les sorties, pendant… et après le confinement. L’affirmation de Jérôme Salomon, directeur de la Santé, sur le fait que le port du masque dans la rue n’avait pas lieu d’être, prend un coup dans l’aile.
Résultat, la fabrication artisanale de masques de protection, lancée par des petites mains solidaires dès le début de l’épidémie, et un temps freinée par les mises en garde de l’Agence régionale de santé, a repris de plus belle, homologuée… ou non. Dans la rue, les confinés de sortie osent désormais se couvrir la bouche et le nez y compris avec une protection de fortune, « fait maison ». Décomplexés, déculpabilisés.
2 Les scientifiques argumentent
Dans son communiqué en date du 2avril, l’Académie de médecine fait reposer sa préconisation du port généralisé du masque sur le fait que : « des personnes en période d’incubation ou en état de portage asymptomatique excrètent le virus et entretiennent la transmission de l’infection. » Le Dr Patrice François, épidémiologiste au CHU de Grenoble renchérit dans un article du « Quotidien du Médecin », daté du même jour : « le virus se disperse essentiellement par les voies aériennes. Une personne infectée, qu’elle ait ou non des signes d’infection, émet quand elle respire et quand elle parle un petit nuage de microgouttelettes chargées de virus. Ces gouttelettes se dispersent dans l’air et tombent sur les surfaces proches où le virus va persister quelques heures.»
Le Covid-19 ne se transmettrait pas seulement quand les gens toussent ou éternuent. La protection simple du citoyen lambda viserait à limiter sa propagation. Pour les Asiatiques, pour lesquels le port du masque est culturellement valorisé, les tergiversations des Occidentaux sont incompréhensibles.
De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reste prudente, craignant que l’usage généralisé du masque donne «un faux sentiment sécurité et fasse oublier les gestes barrières. » Il faut dire qu’elle a, depuis le début, comme le gouvernement français, affirmé que les masques étaient réservés aux soignants, aux malades et à leur environnement proche, en disant s’appuyer « sur des données scientifiques ». Un mensonge d’État ou une réalité masquée par un certain pragmatisme ? Car c’est bel et bien la pénurie de masques qui a conduit à «limiter». Pénurie qui aurait pu être anticipée… C’est un autre débat. Toujours est-il que l’heure est au rétropédalage avec de lourdes tensions sur l’approvisionnement.
3 La Chine face à la course à l’approvisionnement
La pénurie de masques non anticipée par de nombreux États, engendre une foire d’empoigne mondiale, et une course effrénée à l’approvisionnement dont le principal bénéficiaire est la Chine.
La France, qui a par ailleurs réquisitionné la production de ses quatre plus gros fabricants français de FFP2, lui a commandé 2 milliards de masques. Les régions françaises, 67millions. Et un pont aérien a été ouvert avec 56 gros-porteurs. Les autres pays européens font de même. Reste que l’entrée dans la course des ÉtatsUnis, génère une surenchère et une véritable guerre concurrentielle.
Côté chinois, la capacité de production de masques aurait effectué un bond de 450% en un mois pour atteindre aujourd’hui plus de 110millions d’unités quotidiennes. De quoi donner le tournis aux démocraties. De quoi aussi selon le sociologue Jean Viard, « à l’issue de cette crise, faire réfléchir l’Europe à la nécessité de préserver ou rétablir certaines souverainetés, dont la souveraineté médicale… »
Sud-Ouest du 6 avril 2020
« Le virus va continuer à tourner dans la population »
Selon le virologue, le confinement n’éradiquera probablement pas le Covid-19 en Europe. Nous resterons sans défense face au coronavirus tant qu’un vaccin efficace ne sera pas mis sur le marché. D’ici là, Il faudra apprendre à vivre avec
Yves Gaudin travaille à l’Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC) de ParisSaclay (Gif-sur-Yvette). Directeur de recherche CNRS, il y pilote l’équipe qui étudie les Rhabdovirus, une famille virale à laquelle appartient le virus de la rage. Yves Gaudin est lauréat du prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française en 2019.
«Sud Ouest» L’apparition d’un nouveau virus chez l’homme, comme le coronavirus SARS-CoV-2, est-elle banale?
Yves Gaudin C’est un événement dans notre monde moderne, ça l’était moins autrefois. Pour des raisons évidentes, la science a énormément travaillé sur les maladies virales de l’homme. Elles sont répertoriées. On ne découvre plus, pour notre espèce, de nouvelles familles virales. On a aussi une bonne connaissance des virus de nos animaux domestiques. Parfois, ceux qui affectent une espèce mutent et passent à une autre espèce de la même classe, en l’occurrence ici les mammifères. Comme nous sommes au contact de nos animaux domestiques depuis des millénaires, notre système immunitaire a évolué pour résister aux virus qui les infectent. Dans le cas actuel du SARS-CoV- 2, issu de la faune sauvage, nous sommes au contraire sans défense.
La chauve-souris a déjà été identifiée comme le réservoir d’autres virus qui ont été transmis à l’homme, comme le SARS-CoV qui a causé l’épidémie de SRAS en 2002-2003. Comment l’expliquer?
Ce mammifère a effectivement fait parler de lui avec le SRAS, puis avec l’épidémie de MERS-CoV au MoyenOrient à partir de 2012 – un autre coronavirus – le virus Nipah qui est apparu en 1998 dans le sud-est asiatique, le virus Hendra en Australie… La chauve-souris a un mode de vie particulier pour un mammifère. Elle s’agglutine en colonies de milliers d’individus dans des endroits confinés, avec la proximité permanente des déjections du groupe. Une telle promiscuité favorise l’émergence de nouveaux virus. Elle nécessite en retour, chez l’animal, le développement d’un système immunitaire très efficace pour leur résister. Ceci pourrait expliquer que la chauve-souris soit le réservoir de virus qui l’affectent peu ou pas mais qui se révèlent virulents quand ils franchissent la barrière des espèces.
Comment font-ils pour franchir cette barrière?
Les cellules du vivant, qu’il s’agisse des bactéries, des plantes ou des animaux, sont munies de récepteurs. Ce sont des protéines présentes sur la membrane de la cellule. Elles servent de portes d’entrée pour les échanges entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. Un virus est muni d’une clé qui s’adapte (ou non) aux serrures de ces portes d’entrée. Quand sa clé fonctionne, il s’accroche à la cellule et franchit la membrane. Si sa clé est modifiée par des mutations, il pourra parfois ouvrir les portes d’entrée d’autres organismes.
Pourquoi un même virus provoque-til des effets différents suivant les individus?
Parce que nous ne sommes pas égaux devant la maladie. L’une des distinctions majeures entre les individus tient au fait qu’ils sont immunisés ou non contre un virus donné. S’ils le sont, ils ont des anticorps qui ont la capacité de se coller à la clé d’entrée et de faire obstacle au passage du virus à travers la membrane cellulaire. Quelqu’un qui ne l’est pas – comme nous face au SARS-CoV-2 – ne peut compter sur ce mécanisme. Par ailleurs, nous avons tous des gènes de défense un peu différents avec des niveaux de réponse différents face à l’agression.
Un virus pourrait-il menacer la pérennité de l’espèce humaine?
Une pandémie provoquée par un virus très contagieux qui tuerait la majeure partie de ceux qu’il contaminerait est hautement improbable. Au bout d’un moment, la maladie s’éteindrait, faute de possibilité de transmission. Un virus tel que le SARS-CoV-2 peut muter à nouveau mais le scénario selon lequel il deviendrait superpathogène relève plus du fantasme que d’autre chose – même s’il ne peut jamais être totalement exclu. Il faut voir que le Covid-19 produit déjà des effets considérables alors que le taux de létalité tourne autour de 2% des cas. Je dis bien «tourne autour», car il est très difficile de se prononcer pour le moment. On a connu, dans un passé relativement récent, des épidémies très graves sur le sol français. Dans les années 1968-1970, la grippe de Hong Kong a tué 40 000 personnes dans notre pays. Dix ans plus tôt, en 1957-1958, la grippe asiatique a laissé derrière elle un bilan qui a été évalué à 100 000 morts pour la France. À l’époque, le système de valeurs de la société était assez proche du nôtre. On ne s’est pourtant pas posé la question d’arrêter le pays. Mais on comprend bien qu’il est important aujourd’hui d’éviter la submersion du système de soins, ce qui explique la nécessité de limiter au maximum la propagation de la maladie.
Que se passera-t-il à la fin du confinement? La question est plus large : comment définit-on la fin d’une épidémie ?
Si on vise une France à zéro nouveau cas, on en a probablement pour un confinement de six semaines minimum. Mais même avec zéro nouveau cas domestique, le virus continuerait à passer les frontières. À moins de les fermer hermétiquement, ce qui est difficilement réalisable. En conséquence, le Covid-19 ne s’éteindra pas tout à fait. Le SARS-CoV-2 continuera à tourner dans la population. On peut espérer un répit dans des conditions climatiques estivales, moins favorables à une flambée épidémique. Pour y parvenir, il n’est pas exclu que nous devions apprendre à vivre avec le coronavirus et à changer certaines de nos habitudes de vie. Néanmoins, il paraît assez probable de voir arriver une seconde vague à l’automne, avec une ampleur et une virulence semblables à la première puisque la population ne sera toujours pas immunisée. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, on n’aura pas de solution réelle au problème. Il ne sera pas disponible avant un an au moins. N’en déplaise aux complotistes de tout poil, la mise sur le marché d’un vaccin (qu’il faut déjà avoir mis au point, ce qui n’est pas le cas) nécessite de déployer une batterie de tests qui prennent du temps.