Sud-Ouest du 3 avril 2020
«Le virus n’est pas en vacances»
ÉDOUARD PHILIPPE Le Premier ministre était, hier soir, l’invité de TF1 pour une série de questions sur la crise, posées par les Français
Traits tirés sous le maquillage, costume et cravate sombres, Édouard Philippe était, hier soir, l’invité, à distance depuis son bureau de Matignon, d’une émission spéciale de TF1 dans laquelle des Français posaient les questions que, selon l’expression, «tout le monde se pose.» D’entrée de jeu, le Premier ministre a voulu montrer qu’il entendait « assumer les décisions difficiles », notamment à propos du confinement en chambre des 750 000 pensionnaires des Ehpad (lire également en pages 6 et 7). «Préserver les plus fragiles est un de nos enjeux prioritaires », a-t-il assuré.
Mais Édouard Philippe a tenu également à souligner les comportements positifs dans cette crise, en rendant bien sûr un hommage appuyé à la mobilisation des personnels soignants, approuvé d’ailleurs par deux médecins présents en plateau, Karine Lacombe, infectiologue à l’hôpital Saint-Antoine, et Anthony Chauvin, urgentiste à l’hôpital Lariboisière, deux établissements parisiens.
Appel au sens du civisme
Il s’est également réjoui que «les Français respectent dans l’ensemble les consignes de confinement. C’est parfois pénible mais nécessaire. La pire des choses serait que cette discipline se fragilise. Rester chez soi, c’est aider les soignants et aider à passer ce cap difficile.»
En revanche, il a rappelé qu’aucun Français ne pouvait partir en vacances en cette fin de semaine. «Le virus n’est pas en vacances », a-t-il martelé mais pas question pour autant d’alourdir les sanctions. «Je préfère faire appel à l’intelligence et au sens du civisme des Français.»
Promettant de tenir un discours de vérité et de transparence, Édouard Philippe a évoqué le déconfinement. «D’abord, je dis aux Français qu’il n’est pas pour demain. Le confinement est prévu jusqu’au 15 avril, peut-être, et même probablement, au-delà.» Il n’a pas souhaité en dire plus car il y aura d’abord beaucoup de questions à résoudre, par exemple comment vivre en déconfinement avec un virus qui n’aura pas totalement disparu ou « avec des personnes qui viendront de l’étranger».
Le port du masque
Édouard Philippe s’est également exprimé sur un sujet qui vaut à son gouvernement de très nombreuses critiques, à propos de la pénurie de masques en France. « Il y a quatre producteurs de masques en France, c’est peu mais c’est déjà çà car il y a des pays où il n’y en a pas. En plus de notre stock de 117 millions, on a essayé d’augmenter la production de capacité nationale, jusqu’à 10 millions par semaine. C’est une mobilisation industrielle admirable. Et puis, il a fallu acheter des masques à l’étranger mais, en janvier et février, la production chinoise avait baissé et la consommation avait augmenté. D’où le choix de produire aussi 5 millions de masques en tissu par semaine pour la population générale.»
Sur le port du masque, le Premier ministre a reconnu que «c’était une habitude en Asie de les porter. Moi, je ne suis pas médecin, j’écoute les avis, souvent divergents. L’OMS continue de dire que le port du masque en population générale n’est pas forcément une bonne idée.»
«Pas d’argent magique»
Sur le plan politique, où il a été peu interpellé et encore moins bousculé, Édouard Philippe a assuré à l’urgentiste Anthony Chauvin que «le système hospitalier va tenir» mais qu’il faudrait, à la sortie de la crise, «reformater l’hôpital et lui donner plus de moyens, matériels et humains.».
Enfin, sur le plan économique, le Premier ministre a fait le vœu «d’un plan de relance français, voire européen. En 2018, Emmanuel Macron affirmait qu’il n’y avait «pas d’argent magique ». «Il n’est pas plus magique aujourd’hui » a précisé Édouard Philippe qui a à nouveau plaidé pour le sérieux budgétaire «quand la machine sera repartie». «L’État va jouer tout son rôle. Il faudra voir si l’Europe a joué suffisamment le sien.»
Sud-Ouest du 3 avril 2020
Les premières données inquiétantes des décès en Ehpad
BILAN L’État a présenté, hier, des chiffres partiels sur les ravages du Covid-19 dans les établissements d’accueil des personnes âgées. Au moins 884 d’entre elles sont décédées, un total qui va s’alourdir
La vague épidémique dont on parle tant ne s’est pas fracassée sur les portes fermées à double tour des quelque 7 500 Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) recensées en France. Les premières données qui ont été présentées, hier soir, par Jérôme Salomon l’attestent.
Au moins 884 décès liés au Covid19 sont survenus dans ces structures d’accueil depuis le début de la crise. «Ce sont des chiffres partiels », a insisté le directeur général de la Santé. Ils résultent d’une procédure de signalement mise en place depuis le 28 mars. Tous les établissements n’ont pas encore transmis les informations qui les concernent. Du fait de ces lacunes, on sait déjà que ce total de 884 décès sera majoré.
Il confirme, cependant, une vérité établie: le coronavirus frappe de façon préférentielle les personnes les plus âgées. 83% des patients décédés à l’hôpital avaient plus de 70 ans. L’aperçu dévoilé, hier, tend à montrer qu’au moins 16 % de la mortalité causée par le Covid-19 en France est enregistrée en Ehpad. Cet ordre de grandeur sera à affiner avec les données manquantes. Et avec celles d’un drame qui reste souterrain à ce jour: la mortalité en ville, celle des gens qui décèdent à domicile.
Une surmortalité qui décolle
En comparant les remontées de l’état-civil avec les chiffres de la mortalité des années précédentes (sur les mêmes semaines), on arrive tout de même à approcher l’ampleur des dégâts humains. Pour la semaine du 16 au 22 mars, l’excès de mortalité est évalué à 14% sur le territoire national. Pour celle du 23 au 29 mars, on atteint déjà +19 %. Les régions Grand Est, Ile-de-France, Bourgogne Franche Comté, Hautsde-France et Auvergne Rhône Alpes présentent de nettes distorsions par rapport à une mortalité « normale ». La situation est exceptionnelle dans deux départements, le Haut-Rhin et la Seine-Saint-Denis.
Un frémissement positif
Les lueurs d’espoir sont à peine discernables dans ce sombre tableau. On peut tout de même se demander si les effets positifs du confinement ne commencent pas à se faire sentir. On a déploré, hier, 471 décès à l’hôpital (pour un total de 4503, dont 94 en Nouvelle-Aquitaine), moins que les deux précédentes journées. Les entrées en réanimation, qui sont l’indicateur le plus fiable de l’évolution épidémique, fléchissent elles aussi. On en a dénombré 382 de plus en 24 heures, le chiffre le plus bas depuis le début de la semaine.
Jérôme Salomon soupèse ces nouvelles avec circonspection. «Je serai extrêmement prudent. Le délai d’apparition des formes graves, qui nécessitent une hospitalisation en réanimation, peut aller jusqu’à 17 ou 18 jours après la contamination. On devrait commencer à voir un impact des mesures de confinement ce week-end », a-t-il risqué, hier, lors de son point d’information quotidien.
Pour l’heure, cette amorce de stabilisation n’enlève rien à la pression qui pèse sur les services de réanimation. On y comptait, hier, 6 399 malades du Covid-19, dont 221 en Nouvelle-Aquitaine (soins intensifs compris). Les transferts de patients continuent à aller bon train entre la partie Nord/Nord-Est de la France et l’Ouest et le SudOuest, qui conservent de larges capacités d’accueil. Aujourd’hui, 24cas graves seront acheminés par TGV médicalisé depuis Strasbourg jusqu’à Poitiers et Bordeaux. 439 personnes ont déjà été évacuées des hôpitaux les plus bondés, une opération à grande échelle qui n’a pas de précédent en France.
Sud-Ouest du 3 avril 2020
Comment les Ehpad font barrage au Covid
REPORTAGE Les maisons de retraite sont au cœur des préoccupations. Dans l’agglomération bordelaise, une équipe mobile du centre hospitalier universitaire accompagne les agents
L’équipe mobile du CHU avec le personnel de l’Ehpad Marie-Durand à Bordeaux. PH. THIERRY DAVID/« SO »
"La maison de retraite Marie-Durand du Grand-Parc à Bordeaux filtre. Les familles des résidents n’entrent plus depuis quinze jours. Une barrière symbolique mais efficace a été dressée à l’entrée unique. Deux tables accolées avec, posées dessus, du gel hydroalcoolique et un thermomètre. Les journalistes, pas mieux que les autres visiteurs, sont recalés derrière la porte. De là, on voit passer une vieille dame égarée qui cherche quelque chose, qu’elle ne sait nommer. Avec une infinie douceur, une aide-soignante la raccompagne dans sa chambre. Puis, un homme en fauteuil, poussé par un agent masqué, qui va faire un tour dans le jardin intérieur: «Il faut profiter, il fait beau.» Trenteminutes caressé par le soleil à l’abri du vent, seul.
Confinés dans leur chambre
Ici, les 78 personnes âgées sont confinées dans leur chambre depuis la semaine dernière. Elles ne se croisent plus, ni dans l’ascenseur, ni dans les couloirs, ni dans la salle commune ou le réfectoire, même pas dans le jardin. «Les équipes ont vécu les débuts de l’épidémie avec beaucoup d’angoisse », relate Clément Grenier, directeur de l’Ehpad. «Pendant quinze jours, nous avons travaillé sans masque. Personne n’était rassuré, énormément de stress, de questions. Nous avons préféré anticiper les consignes et mettre tout le monde à l’abri.»"...
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Sud-Ouest du 3 avril 2020
La moitié de l’humanité vit le confinement
BILAN MONDIAL On frise le million de cas déclarés, et aux États-Unis, la diffusion du virus est exponentielle. L’Italie a reçu les excuses de la présidente de la Commission européenne
Chaque jour, de nouveaux pays annoncent des mesures de confinement ou, a minima, de couvre-feu. Sur un continent africain où le Covid-19 étend son emprise, Érythrée, Sierra Leone et Togo sont les derniers en date.
Avec 187 pays touchés, on compte sur les doigts des deux mains le nombre de nations encore épargnées par la pandémie. Et tandis que l’Europe du Sud se débat en espérant approcher ou avoir dépassé son pic, les États-Unis voient grossir la vague : désormais, un cinquième des cas déclarés dans le monde sont américains et le pays a passé la barre des 4 500 morts.
1 L’Europe s’excuse auprès des Italiens et intensifie l’action
Les Italiens, qui s’étaient sentis lâchés par leurs partenaires durant la crise migratoire, ont la même impression depuis que le Covid-19 les frappe. Dans une tribune parue dans la presse transalpine, la présidente de la Commission européenne présente ses excuses. «Nous sommes avec vous et je sais que ce ne fut pas toujours le cas », écrit Ursula von der Leyen. Alors que l’Italie a franchi la barre des 13 000 morts, la cheffe de la Commission avoue qu’au début de la crise, les urgences nationales ont pris le pas sur la solidarité européenne mais insiste sur les mesures puissantes décidées depuis pour soutenir les économies (prêts garantis, abandon de la règle des 3%, rallonges budgétaires).
Les «coronabonds » (mutualiser les dettes des États-membres) restent une pomme de discorde avec le tandem Allemagne-Pays-Bas à la tête du front du refus, mais le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton affirme sa confiance dans la conclusion prochaine d’une solution pour intensifier la réponse collective des Européens.
Pendant ce temps, l’Espagne a passé le seuil symbolique des 10 000 décès et se raccroche aux signes d’espoir comme le ralentissement de l’arrivée de nouveaux patients aux urgences d’un système hospitalier en détresse.
2 Les États-Unis désormais dans l’œil du cyclone Covid-19
Alors qu’un navire-hôpital a jeté l’ancre en baie de New York, la marine américaine a dû évacuer en partie un porte-avions à propulsion nucléaire. Le «Theodore Roosevelt» (4 800 marins à bord), à quai sur la base de Guam (Pacifique), avait relâché début mars au Vietnam en plein essor de la pandémie en Asie. Obligée de confiner à terre une partie de l’équipage, la Navy doit pourtant maintenir opérationnel ce fleuron de sa flotte qui garantit la présence américaine au large des côtes du grand rival chinois. Pendant ce temps, l’épidémie se répand sur le sol américain, notamment dans le Sud (Louisiane, Floride). Fait inédit : un gros-porteur russe a atterri à New York avec de l’aide humanitaire. 85% de la population américaine vit confinée et Donald Trump adopte maintenant un ton grave, prévenant les Américains des deux très dures semaines qui les attendent. Rattrapé par l’urgence sanitaire, le président américain s’inquiète des conséquences économiques. Il doit recevoir ce vendredi les patrons de l’industrie pétrolière dans un contexte d’effondrement alors qu’un producteur de pétrole de schiste opérant au Colorado et au Dakota s’est déclaré en faillite.
3 L’impossible confinement et le risque de pénuries de vivres
Difficile à endiguer au Nord, la pandémie pose un redoutable défi aux pays en développement où le confinement rime avec famine pour les plus pauvres, incapables d’assurer leur subsistance. «Ici, les gens aimeraient bien obéir et essaient de le faire mais c’est impossible », témoigne l’habitant d’un bidonville du Cap (Afrique du Sud) où les problèmes sanitaires rendent illusoire une lutte efficace contre la propagation du virus. Le constat est le même dans les autres pays africains ou en Inde. Pour ne rien arranger, les agences internationales mettent l’accent sur le risque « de pénurie alimentaire», en raison du blocage des chaînes d’approvisionnement.