Sud-Ouest du 29 mars 2020 

2020 03 29 SO Les chercheurs porteurs d'espoirs

Face au virus, la science en première ligne 

SANTÉ Alors que l’épidémie de Covid-19 progresse, les chercheurs sont engagés dans une course de vitesse. Sur trois fronts : traitements, dépistages, vaccin

2020 03 29 chercheurs 2Des laboratoires universitaires, comme ici le VirPath de Lyon, et une vingtaine d’entreprises dans le monde accélèrent leurs recherches pour trouver le vaccin. PHOTO AFP 

«Non, la cocaïne ne protège pas contre le #covid19»: c’est le ministère de la Santé qui l’écrit, dans un tweet publié sur son compte le 8mars, pour désamorcer une rumeur. Beaucoup d’intox circulent sur ce virus encore peu connu. Quatre mois après le signalement des premiers cas dans la ville chinoise de Wuhan, cinq semaines après le premier décès en Italie lié au coronavirus, où en est la connaissance scientifique ? Le point. 

1 Traitements: quatre molécules en cours de test 

À ce jour, faute de traitement, les soins portent sur les symptômes : faire baisser la fièvre, calmer la toux, les courbatures… Les cas les plus graves sont admis en réanimation, placés sous assistance respiratoire. 

On devrait en savoir plus sur les possibles traitements ces prochaines semaines. Un essai clinique de grande ampleur, baptisé Discovery, coordonné par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a été lancé dimanche dernier. Il concerne 3 200 patients en Europe, dont 800 en France, et consiste à tester quatre molécules qui pourraient permettre de combattre le Covid-19. Les premiers résultats devraient être connus dans deux à trois semaines. 

2 Chloroquine: les chercheurs sont divisés

Parmi les quatre molécules expérimentées par Discovery figure la chloroquine, utilisée jusqu’ici dans des traitements contre le paludisme. Une étude chinoise a montré, fin février, des résultats positifs, mais in vitro: il s’agissait d’essais en laboratoire, non d’observations menées sur des patients. 

Vendredi soir, le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille, a publié une nouvelle étude sur l’hydroxychloroquine, un dérivé de la chloroquine. Elle porte sur 80 patients, dont 80 % ont connu une « évolution favorable », selon le scientifique et son équipe. Elle succède à une précédente qui portait sur une vingtaine de malades : après six jours de traitement, le virus avait disparu pour les trois quarts d’entre eux. 

La fiabilité de ces essais, menés sur un petit nombre de sujets, est très contestée chez les chercheurs. «En l’absence de toute donnée probante », le Haut Conseil de la santé publique a publié, mardi, un avis excluant l’utilisation de l’hydrochloroquine, sauf pour les cas graves, et sur décision collégiale des médecins. Un cadre repris dans un décret paru en fin de semaine. 

«La sagesse, c’est d’attendre les résultats de l’enquête Discovery, commente, joint par ‘‘Sud Ouest’’, l’épidémiologiste Roger Salamon. Je n’ai pas d’hostilité a priori contre la chloroquine, mais on ne peut conseiller un médicament sans avoir mesuré son efficacité, ses éventuels effets délétères. Cela donne l’impression d’une recommandation produite sous la pression de l’opinion publique, et l’illusion grave, dangereuse, qu’on peut se passer de l’expertise scientifique.» 

3 Dépistage: projet de tests sanguins 

Autre enjeu de la lutte contre le coronavirus : le dépistage. Actuellement, les tests sont faits dans les laboratoires et les hôpitaux, à partir d’un prélèvement effectué en introduisant un long coton-tige dans le nez du patient. Mais la France fait face à une pénurie de certains composants, en particulier de réactifs. Aussi ces tests sont pour l’instant limités aux personnes fragiles et aux personnels soignants. Olivier Véran, ministre de la Santé, a demandé cette semaine leur « démultiplication». Certains pays, comme la Corée du Sud, ont choisi de les pratiquer à grande échelle, ce qui leur a permis d’isoler les personnes infectées et de freiner l’épidémie sans confiner l’ensemble de la population. 

Partout en Europe, les biologistes travaillent activement sur un autre type de test, sérologique: une prise de sang qui détermine si les gens ont été infectés, même sans présenter les symptômes, et s’ils sont immunisés. Dans ce cas, ils n’auraient plus besoin d’être isolés, et pourraient reprendre le travail. 

4 Vaccin: pas avant plusieurs mois 

Aux États-Unis, la société américaine de biotechnologie Moderna a lancé mi-mars ses premiers tests sur un possible vaccin; il faudra plus d’un an avant sa mise sur le marché. Une vingtaine d’entreprises dans le monde, dont Sanofi, accélèrent aussi leurs recherches. Mais il ne peut pas être attendu comme une solution de court terme. « Les prédictions les plus optimistes estiment que c’est une question de mois. Le vaccin arrivera après l’épidémie, mais il sera intéressant dans le cas où la maladie deviendrait saisonnière », note le professeur Charles Cazanave, infectiologue à Bordeaux.

Sud-Ouest du 29 mars 2020 

« Face à ce virus, l’humilité» 

INTERVIEW Le professeur Charles Cazanave, infectiologue, explique comment les médecins sont tombés d’accord sur le choix thérapeutique à dispenser aux patients Covid-19

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Le professeur Charles Cazanave, infectiologue et responsable d’une unité au service des maladies infectieuses et tropicales au CHU de Bordeaux dirige la Commission médicale des anti-infectieux (COMAI). Face à l’emballement médiatique et polémique autour d’une molécule, la chloroquine, où plus précisément l’hydroxychloroquine, il a coordonné une réunion en urgence lundi, afin de décider comment aujourd’hui traiter les patients infectés par le Covid-19, à l’hôpital et hors de l’hôpital. La majorité des médecins concernés étaient présents lors de ce consortium. 

«Sud Ouest Dimanche» Pouvezvous nous expliquer ce qui a motivé cette réunion de la Commission médicale des anti-infectieux ? Quel contexte ? 

PR Charles Cazanave Nous sommes face à un virus inconnu, et aujourd’hui encore il n’existe pas de traitement dont nous sommes certains de l’efficacité. Il a fallu aller très vite, et compte tenu de l’emballement autour de l’hydroxychloroquine, harmoniser les traitements et dépassionner le débat. Je comprends la crainte et les questionnements. La période trouble, incertaine, a suscité des prescriptions chez certains collègues, d’autres ont engagé des protocoles, face à des patients très gravement touchés. Des dispositions que le médecin prenait parfois seul. Action et raison peuvent aller de pair et nous devions nous rassembler pour établir ensemble une stratégie commune. Tout en sachant très bien que tout peut évoluer au fil de l’actualité scientifique. Humilité et rigueur doivent nous guider. 

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Comment avez-vous décidé de ces choix thérapeutiques ? 

Évidemment, on n’a pas sorti des choix d’un chapeau. Il se trouve que l’on commence à recevoir les résultats d’études scientifiques, ce qui nous apporte plus de visibilité et nous permet de faire des propositions. Nos décisions ont été prises avant l’avis du Haut Conseil de santé publique (HCSP) [Il est intervenu le lendemain, NDLR] et elles sont superposables. Nous avons pris en compte le rapport bénéfice-risque et le fait que certaines molécules, dont l’hydroxychloroquine, n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché pour les pathologies liées au Covid-19. Nos recommandations divergent en fonction de la typologie du patient: ceux qui sont soignés chez eux (ambulatoire), ceux qui sont hospitalisés en médecine ou ceux qui sont en réanimation dans un état grave. 

Qu’avez-vous préconisé pour les patients traités à leur domicile ? 

Clairement, en ambulatoire ou médecine de ville, il n’existe aucun traitement spécifique privilégié pour le Covid-19. Il n’est pas recommandé au médecin traitant de prescrire ni le Lopinavir (antiviral), ni l’hydroxychloroquine [nom commercial Plaquenil, médicament utilisé habituellement pour traiter des maladies auto-immunes, NDLR], ni le remdisivir [nouvel antiviral, soumis à des règles strictes de prescription]. Il n’existe pas non plus de traitement préventif. Le Plaquenil doit être pour l’instant réservé aux patients qui en ont besoin pour leur traitement de fond, comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde. 

L’autre recommandation concerne les anti-inflammatoires non stéroïdiens, par exemple l’ibuprofène, qui ne doivent pas être utilisés en cas de symptômes évocateurs d’un Covid-19. Pour fièvre, courbatures, toux…il faut un avis médical et prendre du paracétamol, sans dépasser la dose maximale autorisée. Tout patient ambulatoire avec un Covid-19 doit avoir un suivi rigoureux, avec une réévaluation médicale systématique entre le 6e et 8e jour du début des symptômes et prendre avis en cas d’aggravation. 

Quid des traitements pour les patients hospitalisés ? 

Déjà, toutes les décisions thérapeutiques doivent être prises de façon collégiale. Nous avons décidé, en accord avec l’avis du HCSP, de positionner le lopinavir en première intention. Nous connaissons bien cette molécule utilisée comme antirétroviral contre le VIH, et ses effets secondaires. Avant chaque traitement, le patient devra être prévenu que ce médicament lui est dispensé hors autorisation de mise sur le marché pour son infection Covid-19. Ensuite, en deuxième, vient l’hydroxychloroquine, avec un suivi très encadré, étant donné les effets indésirables et les interactions médicamenteuses notables. Ces deux molécules étant actuellement en cours d’évaluation dans un grand essai thérapeutique européen. Pour les patients en réanimation dans un état grave, le remdésivir pourra être dispensé dans le cadre d’un essai thérapeutique ou bien à titre exceptionnel, dit compassionnel. Il n’y aura pas a priori d’associations de molécules, sinon au cas par cas, et de façon concertée au CHU de Bordeaux. 

Quel regard portez-vous sur l’affaire du professeur Didier Raoult qui suscite des controverses ? 

Resituons le contexte, son étude est arrivée dans une période de confusion où les sources d’information étaient multiples et parfois contradictoires, créant un climat de suspicion. Le professeur Raoult l’a réalisée sur un petit nombre de cas. Son travail comportait des limites méthodologiques et on ne peut pas encore en tirer des conclusions scientifiques et thérapeutiques. Son étude est davantage virologique et elle évalue l’absence de virus sur un prélèvement nasal profond au 6e jour de traitement, plus que l’évolution clinique des patients. Cependant, il est primordial que le critère de jugement principal d’une étude clinique soit clinique: le patient est-il guéri ? Va-t-il mieux ? A-t-il bien toléré ? A-t-il présenté des effets indésirables sévères ? Tout cela, on ne le sait pas. Son étude apporte des éléments non négligeables sur un plan virologique, la preuve, la molécule a été incluse dans l’essai Discovery

2020 03 29 SO Un basculement dans l'opinion

2020 03 29 transfert

Sud-Ouest du 29 mars 2020 

Nos hôpitaux soulagent l’Est 

COVID-19 Deux trains sanitaires arrivent aujourd’hui à Bordeaux avec 36 patients de la région Grand Est, qui seront ensuite répartis vers différents hôpitaux de Nouvelle-Aquitaine. Car la région dispose encore de bonnes « réserves » d’accueil

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Alors que les experts et le gouvernement s’attendent à un pic de l’épidémie en fin de semaine prochaine, que des hôpitaux en Île-de-France et dans l’Est sont saturés, le transfert de malades du coronavirus s’accélère ce week-end, pour soulager les services de réanimation de la région Grand Est. Hier, l’armée française a même commencé à évacuer par hélicoptère deux patients de Metz vers des hôpitaux en Allemagne dans le cadre de l’opération Résilience. 

Notre région, moins touchée 

Aujourd’hui, ce sont 36 patients, en provenance également de l’Est, qui sont attendus en Nouvelle-Aquitaine. C’est, à ce jour, la plus importante évacuation sanitaire de patients du Covid-19 sur le territoire français. Moins touchée que d’autres pour l’instant par la pandémie, notre région dispose encore en «soins critiques» (incluant la réanimation, les soins intensifs et continus) de 1 640 lits, dont 569 disponibles.

2020 03 29 nos hôpitaux 2 

Le premier train, qui arrivera à Bordeaux dans l’après-midi, permettra l’évacuation de 12 malades actuellement en réanimation au Groupe hospitalier régional (GHR) de Mulhouse vers le CHU de Poitiers (quatre personnes), le Centre hospitalier de La Rochelle (quatre patients), celui de Niort (deux personnes) et celui d’Angoulême (deux malades). Le second train transportera 24 patients, actuellement en réanimation à Nancy, vers le CHU de Bordeaux (une personne), la clinique Bordeaux-Nord (trois), sept malades vers les hôpitaux d’instruction des armées, trois vers le Centre hospitalier de Libourne, quatre vers celui de Pau (1) et six vers celui de Bayonne. 

Une fois arrivés en gare de Bordeaux, ils seront transportés en ambulance vers les établissements concernés. À raison de quatre par voiture. Avec dans chacun des véhicules un anesthésiste-réanimateur ou un urgentiste senior, un interne, un infirmier anesthésiste, trois infirmiers, et éventuellement un logisticien. 

Les équipes du premier train proviennent des Samu d’Île-de-France et de Nouvelle-Aquitaine, celles du second comprenant aussi des membres du Samu Grand Est. Près d’une quinzaine de professionnels du CHU de Bordeaux participent au déplacement : infirmiers, médecins, logisticien. 

Ne serait-ce que pour les six personnes à transférer de Bordeaux vers Bayonne, l’opération mobilise six ambulanciers, autant d’urgentistes et d’infirmiers. Ainsi que quatre ambulances du Smur et deux privées. «C’est beaucoup de travail et d’organisation. Il ne faut pas se tromper », souligne le Dr Tarak Mokni, responsable du Samu de Bayonne. 

«Sans nous pénaliser» 

«Nous avons bien pesé le pour et le contre, car il ne s’agit pas de désorganiser l’offre néo-aquitaine », rassure Michel Laforcade, directeur général de l’ARS (Agence régionale de santé) de notre région. « Le pari qu’on a fait, c’est qu’avec les trois quarts de disponibilité qui subsistent, on doit pouvoir venir en aide à cette région-là sans nous pénaliser.» Une situation qui contraste avec celle de l’Île-de-France, de plus en plus tendue. Sur 1 500 places de réanimation en région parisienne, 1 300 sont actuellement occupées. 

  1. À l’hôpital de Pau, où jusque-là, un poste avancé sous forme de tente accueillait les patients potentiellement porteurs de Covid-19, cela se fera à partir de demain au service des urgences. Les urgences «traditionnelles» seront transférées dans un autre secteur de l’établissement.

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