Une pause dans la consommation d'alcool
Sud-Ouest du 21 janvier 2020
Janvier sans alcool, le verre à moitié vide
SANTÉ Populaire en Grande-Bretagne, « Dry January », un mois de pause dans la consommation d’alcool, connaît, en France, faute de soutien du gouvernement, un début timide
Faute d’appui du ministère, la démarche est timide en France. PHOTO SHUTTERSTOCK
L’initiative vient d’outre-Manche. « Dry January » – un défi consistant à cesser, ou au moins à diminuer drastiquement sa consommation d’alcool en janvier, après les éventuels excès de la fin de l’année –est né en Angleterre, en 2013, sous l’impulsion de l’association Alcohol Change. Un mois sans une goutte, ou quasiment, d’alcool. Au Royaume-Uni, l’idée a connu assez vite un écho réel.
Quatre millions de personnes auraient, selon des chiffres abondamment repris mais difficilement vérifiables, relevé ce « challenge » l’an dernier. Un succès, dopé par le marketing, Coca-Cola, Heineken, Pernod-Ricard et autres communiquant volontiers, à cette occasion, sur leurs boissons sans alcool. Autre carburant de ce janvier sec, les réseaux sociaux. Des milliers d’internautes rejoignent l’aventure et le font savoir sur Facebook, Instagram, Twitter…
«Mobilisateur»
Une équipe de l’université du Sussex a tenté d’évaluer les effets de ce mois d’abstinence, en interrogeant 2 800 participants en janvier 2018, 1 715 en février, et 816 en août. 82 % d’entre eux déclarent que «Dry January » les a conduits à réfléchir à leur consommation d’alcool. 71 % qu’ils ont pris conscience que «l’alcool n’est pas nécessaire pour s’amuser en soirée ». Une majorité fait part d’effets positifs sur le sommeil ou la perte de poids.
L’an dernier, en France, la fédération Addiction, qui regroupe environ 200 associations et structures, entreprend d’importer l’opération dans l’Hexagone. «Ce qui nous paraît très positif, c’est qu’à la différence des campagnes de prévention classiques qui peuvent avoir un côté pyramidal, ça vient du terrain, des gens eux-mêmes, qui s’engagent et décident de participer», explique le Bordelais Jean-Michel Delile, psychiatre, addictologue, président de la fédération. « C’est mobilisateur ! L’un des objectifs principaux de ‘‘Dry January’’, c’est de populariser auprès des jeunes l’idée qu’on peut passer une bonne soirée sans consommer d’alcool, de faire en sorte qu’un jeune résiste à la pression sociale qui incite à boire… Alcohol Change nous a cédé les droits pour la France, on a commencé à travailler avec des associations d’étudiants, avec la Ligue contre le cancer… Nous pensions, jusqu’à l’automne, pouvoir compter sur le soutien du ministère, qui semblait intéressé, et lancer dans de bonnes conditions l’opération en janvier 2020.»
Patatras! En novembre, alors qu’il rencontre, en petit comité, des vignerons en Champagne, Emmanuel Macron aurait fait connaître son opposition à cette démarche – information qui n’a pas été, à l’époque, confirmée ou démentie par l’Élysée.
«Aberrant»
Interrogée dans les jours qui suivent, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, indique que le format n’est pas «validé par le ministère» et renvoie à des discussions ultérieures, courant 2020, pour une très hypothétique application en 2021… Son collègue Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, juge Dry January « aberrant». «Je préfère la modération toute l’année, que l’interdiction et la prohibition un mois », déclare-t-il fin novembre.
« Avec ce genre d’opérations, on est en train de basculer de la prévention, nécessaire, à l’acharnement et à la culpabilisation. Il y a un consensus assez large sur le fait de ne pas dépasser deux verres par jour et de se limiter à dix verres par semaine. Bâtissons une vraie prévention, ensemble, sur ces bases, plutôt que de soutenir ces formes d’interdiction, estime la sénatrice girondine Nathalie Delattre. Les viticulteurs sont très inquiets de cet air anti-vin qui monte, alors qu’ils sont confrontés aux taxes de Trump, à des problèmes de trésorerie.»
Les associations d’addictologie ont fait part de leur « consternation », dans une lettre adressée au président de la République. Le débat s’est envenimé, chacun dépeignant l’adversaire comme le représentant d’un lobby, «pro-alcool» ou « anti-alcool »… Malgré ces vents contraires, la fédération Addiction a décidé de maintenir l’opération. Privé de soutien public, et donc de moyens, ce «Dry January» made in France connaît des débuts assez timides : un site et une appli ont été créés et visent 10 000 participants.