Sud-Ouest du 27 décembre 2019
Incendie mortel : les pompiers ralentis dans leur action
BORDEAUX Plusieurs obstacles ont freiné les pompiers dans leur approche de l’incendie du quartier Ginko, qui a fait un mort. Ce type d’urbanisme est-il réellement adapté à la sécurité incendie ?
Ci-dessus, la résidence Jules-Verne et le rez-de-chaussée qui est parti en flammes mercredi. Annie, une voisine du quartier des Aubiers, qui connaissait très bien la victime, s’est rendue sur place hier. Au-dessus , l’entrée de la voie pompiers. PHOTOS CLAUDE PETIT
Mercredi soir, jour de Noël, Ludovic Morlier (1) a perdu la vie dans l’incendie de son appartement de l’écoquartier Ginko, à Bordeaux-Lac. Sa mort aurait-elle été évitée si les pompiers avaient pu accéder plus rapidement au lieu du sinistre ? La question mérite d’être posée si l’on se penche sur le déroulement des faits. Ce soir-là, les pompiers ont bien été ralentis par une série d’obstacles.
Mercredi avant 21 heures, le signalement d’un incendie est donné par des habitants du quartier. C’est un appartement au rez-de-chaussée de la résidence Jules Verne, un immeuble de sept étages qui est en feu. Particularité de l’écoquartier Ginko, les résidences ne donnent pas toutes sur des rues classiques. La plupart sont cernées par des jardins, des passages piétons, voire des canaux, comme c’est le cas à Jules-Verne, sans lien direct avec la voirie. L’immeuble est au cœur d’un îlot piéton. Lorsqu’ils arrivent sur les lieux, les pompiers tombent sur une première difficulté : la voie d’accès qui leur est réservée pour atteindre Jules-Verne est barrée par un portail fermé. Il y a un code, mais ils ne le connaissent pas. Sur place, personne ne le connaît. De longues minutes sont perdues. Ils parviennent finalement à se faire ouvrir le portail de la voie pompiers, mais il leur faut encore franchir deux portails et des portes fermés par des digicodes. Là encore, personne pour ouvrir rapidement. Lorsque l’accès s’ouvre enfin, une autre difficulté se présente : la voie pompiers passe à l’ouest de l’immeuble, mais l’appartement en feu est situé sur le côté opposé. Or, il est séparé de l’esplanade Jean Cayrol par un canal large de plusieurs mètres. Ce qui complique encore l’approche des hommes du Sdis (Service départemental d’incendie et de secours).
«C’était affreux !»
« On était tous devant l’appartement en feu, on voyait la victime à l’intérieur, couchée sur le sol, on ne pouvait rien faire, c’était affreux ! On a vu deux pompiers venir à pied, avec des extincteurs, mais ils ne pouvaient pas intervenir », sanglotait hier matin une voisine qui a assisté à l’incendie, depuis cette fameuse esplanade. Le rapport de la police municipale, auquel nous avons eu accès, mentionne même des jeunes qui ont essayé d’en découdre avec les pompiers, trouvant qu’ils n’allaient pas assez vite. Lorsque le camion du Sdis équipé d’un grand bras articulé peut enfin entrer en action, en enjambant le canal, il est déjà trop tard pour sauver Ludovic Morlier. Il permettra néanmoins d’empêcher la propagation de l’incendie au reste de l’immeuble.
Joint, hier, le maire adjoint du quartier, Pierre de Gaëtan Njikam, confirme «une difficulté d’accès à cet immeuble ». Jean-Luc Gleyze, président du Conseil départemental et patron du Sdis, est plus explicite : «les pompiers sont tombés sur trois digicodes différents. Le sujet, c’est l’antinomie entre la sûreté et la sécurité. Les immeubles des nouveaux quartiers urbains sont très bien défendus contre les intrusions, mais seuls les gérants des immeubles ont les codes. Cela pose un problème. Cette forme d’urbanisme complique la tâche des secours. Heureusement que la question du financement du Sdis a été réglée l’an dernier, cela nous a permis d’acheter le camion avec bras articulé qui est adapté à ces quartiers ». Un équipement à 1 million d’euros qui s’est avéré utile mercredi. Lors de la conception de ces grandes zones d’aménagement, le Sdis est systématiquement consulté. Il donne son avis, mais c’est ensuite les gestionnaires des immeubles qui placent des digicodes, ou les changent parfois sans prévenir. Il faudra peut-être revoir ces dispositifs à Bordeaux où, d’Euratlantique à Bastide Niel, Brazza ou les Bassins à flot, les quartiers façon Ginko se multiplient.
(1) L’analyse ADN confirmera s’il s’agit bien de lui.
Sud-Ouest du 27 décembre 2019
Les voisins choqués : «On ne pouvait rien faire »
TÉMOIGNAGES L’incendie a été suivi sur place par de nombreux habitants du quartier, dont certains connaissaient la victime. Revenus sur les lieux hier, ils racontent la scène et disent leur émotion
Le bilan de l’incendie survenu mercredi dans l’écoquartier Ginko, à Bordeaux-Lac, est d’un mort, sans doute l’occupant de l’appartement, et de cinq blessés en raison des fumées. Ils ont été amenés à l’hôpital Pellegrin et à la clinique de Bordeaux Nord.
Huit personnes ont par ailleurs été relogées par la mairie. L’autopsie de la victime confirme sa mort par brûlure, mais il faut attendre les analyses ADN pour certifier qu’il s’agit bien de Ludovic Morlier. Un expert doit de pencher aujourd’hui sur l’origine du feu, et tenter de faire le clair sur des explosions qui ont été entendues. Il y avait de nombreux aérosols dans l’appartement, mais il peut aussi s’agir des vitres qui ont explosé.
«Un monsieur très gentil»
Tout hier matin, des voisins ont défilé au pied de l’immeuble. Certains y étaient déjà la veille, le sinistre ayant été suivi par de nombreux badauds impuissants. Certains sont incrédules, comme cette femme qui n’a rien entendu. Elle vit pourtant tout près. D’autres s’échangent quelques mots sur Ludovic Morlier, la victime, bien connue à Ginko.
«Il venait tous les jours au centre social lire son ‘‘ Sud Ouest’’, c’était un monsieur très gentil, il passait avec son vélo, on le voyait aussi pêcher dans le canal, je suis tellement émue », raconte une responsable du centre. Annie est venue des Aubiers, la cité HLM voisine de Ginko, avec son chien Kiki sous le bras. Elle aussi le connaissait bien. « Je le voyais souvent dans le quartier, près de chez lui ou à Auchan. Les enfants le connaissent, avec ses cannes à pêche. Une fois, il pêchait dans le canal, cela n’a pas plu à une femme, elle lui a jeté ses cannes par terre. D’habitude, il partait chez ses parents à Noël, vers Carcassonne ou Montpellier, je ne sais plus. Mais cette année, avec la grève des trains, il est resté chez lui, tout seul.»
Âgé de 70 ans, il vivait en solitaire dans cet appartement que certains décrivent comme encombré d’objets divers, de journaux, etc. Il avait aussi des chats, dont le mobilier flotte tristement dans l’eau souillée du canal. «Il fumait beaucoup, tout le temps», ajoute une voisine. D’autres le décrivent comme à la limite de la marginalité. «Il était adorable, les enfants le connaissaient, il donnait des bonbons. Quand on a vu qu’il y avait le feu, on est tous descendus, mais on ne pouvait rien faire, les pompiers n’arrivaient pas, ils étaient coincés, il y avait des flammes partout. On est tous choqués.»